« De bien des manières, Peres a réellement agi comme le successeur de Ben Gurion, combinant pragmatisme à long terme et bellicisme pendant toute sa carrière »
Azriel Bermant, historien
28 de septiembre de 2016
Aimé à l’étranger et controversé en Israël, Shimon Peres était un combattant de la paix
Shimon Peres, 1923 - 2016, dernier des pères fondateurs d'Israël
Aimé à l’étranger et controversé en Israël, Shimon
Peres était un combattant de la paix
Avant d’être révéré comme « l’homme d’Etat le
plus âgé d’Israël », Shimon Peres, le seul Israélien qui a été à la fois
Premier ministre et président et n’a jamais gagné un vote populaire, a survécu
à une carrière politique turbulente
Shimon Peres, l’un des plus grands hommes politiques d’Israël et dernier des fondateurs de l’Etat à être encore en vie, est mort tôt mercredi matin à Tel Aviv, deux semaines après un accident vasculaire cérébral massif. Il avait 93 ans.
Quand il a terminé son mandat de président en 2014, Peres était le chef d’Etat le plus âgé du monde, et la seule personne à avoir été Premier ministre et président d’Israël. Bien que sa carrière, longue et illustre, ait été remplie de rivalités et de déceptions professionnelles, dont une manœuvre politique qui est entrée dans l’histoire sous le nom de « coup puant », dans ses dernières décennies, Peres était devenu le plus vieil homme d’Etat d’Israël, respecté et admiré des dirigeants du monde entier.
Peres, qui n’a jamais gagné une élection populaire (l’élection présidentielle se fait par un vote à bulletin secret des députés), a été l’un des hommes politiques les plus victorieux, rusés et finalement aimés.
Homme aux multiples facettes, travailliste de longue date qui a préféré le centre du marché libre du parti Kadima, lauréat du Nobel de la Paix qui, selon des sources étrangères, a donné à un état effrayé et menacé l’arme dissuasive ultime, et signataire des accords d’Oslo qui, des années auparavant, en tant que ministre de la Défense, avait aidé à poser les premières pierres du mouvement des implantations, il était considéré comme beaucoup comme l’un des meilleurs atouts d’Israël, homme politique érudit qui n’avait pas été touché par la corruption.
Sur la scène internationale, il était respecté pour ses positions conciliantes et sa quête sans fin pour la paix ; dans la droite idéologique d’Israël, son nom a pendant des années était synonyme de naïveté, et bien pire.
« Les Palestiniens sont nos plus proches voisins, a-t-il souvent déclaré. Je suis certain qu’ils peuvent devenir nos plus proches amis. »
Il a été le huitième Premier ministre du pays, entre septembre 1984 et octobre 1986, puis à nouveau entre novembre 1995 et juin 1996. En 2007, il est devenu le neuvième président d’Israël.
Peres a siégé à la Knesset pendant presque un demi-siècle, entre 1959 et 2007, et a été nommé à presque tous les postes ministériels importants au fil des ans. En 1994, il a reçu le Prix Nobel de la Paix, avec le dirigeant palestinien Yasser Arafat et son collègue et éternel rival Yitzhak Rabin.
Né en 1923 sous le nom de Shimon Perski, il a grandi dans la ville polonaise de Wołożyn (aujourd’hui Valozhyn, en Biélorussie), qui a été décimée par les nazis pendant l’Holocauste. Peres a souvent raconté ses souvenirs de son grand-père, le rabbin Zvi Meltzer, qui l’avait une fois emmené voir Chofetz Chaïm, l’un des géants de la communauté juive avant la guerre, pour qu’il le bénisse.
Peres a été élevé par son grand-père, qui l’a vu pour la dernière fois quand il est parti pour la Palestine à 11 ans. « Je me souviens des derniers mots et de l’ordre que j’ai entendu de sa bouche : ‘Mon garçon, reste toujours un juif !’ », avait raconté Peres. Les nazis ont ensuite enfermé le grand-père de Peres dans la synagogue de la ville, et l’ont brûlé vif.
Peres est allé à l’école à Tel Aviv et Ben Shemen, puis a cofondé le kibboutz Alumot, où il a été fermier et berger.
En 1945, Peres a épousé Sonya Gelman, qui est morte en 2011. Deux ans après leur mariage, Peres a rejoint la Haganah, l’organisation clandestine juive militante dirigée par David Ben Gurion. Le Premier ministre fondateur d’Israël a été le mentor politique de Peres et est resté son modèle jusqu’à la fin de sa carrière. « Ben Gurion était le plus grand de tous les hommes d’Etat, il avait une vision prophétique », avait déclaré Peres.
« De bien des manières », a écrit au sujet de Peres l’historien et analyste Azriel Bermant en 2012, « il a réellement agi comme le successeur de Ben Gurion, combinant pragmatisme à long terme et bellicisme pendant toute sa carrière, même si Peres est souvent vu comme un pacifiste idéaliste et irréaliste. »
Mais bien sûr, il y avait des différences importantes entre les deux dirigeants, a souligné Bermant dans une critique du livre de Peres sur Ben Gurion publié en 2012. « Peres est le diplomate accompli qui a toujours semblé se soucier des opinions internationales et israéliennes. On peut se demander ce que Peres aurait pu réussir pendant qu’il s’efforçait de faire la paix, s’il avait présenté un peu plus de la fermeté de Ben Gurion envers ses rivaux nationaux. »
Ces dernières années, Peres a joui du rôle d’homme d’Etat le plus âgé d’Israël, au-delà des querelles partisanes, mais les premiers jours de sa carrière en étaient très différents.
Dans la Haganah, Peres était responsable des ressources humaines et des armes, puis a dirigé la Marine israélienne. Après la guerre d’Indépendance, il a dirigé la délégation du ministère de la Défense aux Etats-Unis. En 1953, Peres, qui avait alors 29 ans, est devenu le plus jeune directeur général d’un ministère de l’histoire. A ce poste, il a participé à la formation d’alliances stratégiques qui se montreraient cruciales pour la survie d’Israël, et a mis en place le programme nucléaire du pays à Dimona.
En 1959, Peres est entré à la Knesset comme représentant du Mapaï, le prédécesseur du parti travailliste, et a été nommé vice-ministre de la Défense, un poste qu’il a gardé jusqu’en 1965. En 1974, Yitzhak Rabin, alors Premier ministre, et rival éternel de Peres, a fait de lui son ministre de la Défense.
Trois ans plus tard, Rabin a été mêlé à un scandale de devises étrangères et a dû laisser Peres prendre la tête du Parti travailliste et agir comme Premier ministre non officiel. Sous la direction de Peres, la gauche israélienne a perdu le pouvoir pour la première fois de l’histoire du pays.
Menachem Begin, du Likud, est devenu Premier ministre, et Peres a dirigé l’opposition. En 1981, le Parti travailliste a à nouveau perdu les élections. Trois ans après, le parti a remporté le plus des sièges mais n’a pas pu former une coalition de gauche. Peres et Yitzhak Samir, du Likud, se sont mis d’accord un accord de rotation, dans lequel les deux dirigeants seraient Premier ministre et ministre des Affaires étrangères l’un après l’autre. Il est devenu Premier ministre pour la première fois le 13 septembre 1986.
En 1988, le Parti travailliste a, à nouveau, perdu contre le Likud de Shamir, bien que de peu, et Peres a été vice-Premier ministre et ministre des Finances dans un gouvernement d’unité nationale. Mais cette alliance improbable s’est déchirée en 1990 en raison d’un désaccord sur un projet américain de négociations de paix avec les Palestiniens.
Peres a ensuite tenté de prendre le pouvoir en organisant une manœuvre politique connue sous le nom de « coup puant ».
Avec l’aide du parti ultra-orthodoxe Shas, le bloc de gauche de Peres a réussi à faire passer une motion de défiance en mars 1990, marquant la première fois, et pour l’instant l’unique, où un gouvernement en place a été renversé par une telle mesure. Il a été demandé à Peres de former un gouvernement, mais il n’a pas pu le faire en raison de l’opposition de Degel HaTorah, un parti ultra-orthodoxe. Le rabbin dirigeant de l’époque, Eliezer Menachem Schach, avait interdit à ses partisans d’entrer dans une coalition avec la gauche « mangeuse de porc », et un Peres humilié s’est retrouvé sans majorité.
Rabin, qui avait essayé sans succès de déloger Peres de la tête du parti, avait déclaré que « ce bluff et cette corruptibilité qui sont entrés dans la vie politique israélienne dans une tentative de former un gouvernement étroit ont échoué non seulement en termes tactiques, mais aussi en tant que concept. »
Deux ans après, Peres a perdu la primaire travailliste contre Rabin, qui est ensuite devenu Premier ministre et a fait de Peres son ministre des Affaires étrangères.
En 1993, le gouvernement Rabin a signé les accords d’Oslo avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), ce qui a valu à Rabin, Peres et Yasser Arafat, dirigeant de l’OLP, le Prix Nobel de la Paix 1994 pour « leurs efforts pour créer la paix au Moyen Orient. »
« Nous laissons derrière nous l’époque du bellicisme et nous dirigeons ensemble vers la paix », avait déclaré Peres dans son discours de remise du prix.
L’amère rivalité entre Peres et Rabin a duré près d’un demi-siècle. Elle ne s’est pas terminée avec le succès d’Oslo ou d’un autre traité de paix historique, signé par Israël avec la Jordanie en 1994. En effet, Peres n’a pas apprécié que Rabin marginalise son rôle dans l’accord de paix avec Aman, ayant le sentiment qu’il méritait la plupart du crédit pour ses nombreuses années de tractations secrètes avec le royaume.
« Cette tension est totalement inutile », avait déclaré Moshe Shahal, ministre du Travail, après l’approbation par le cabinet de l’accord de paix avec la Jordanie. « Il y a assez de place pour eux deux dans l’histoire pour ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont réussi. »
Les réussites diplomatiques d’Israël à l’époque ont été attribuées aux deux dirigeants travaillistes travaillant ensemble, malgré leur inimitié personnelle.
« C’est un miracle que cette combinaison existe », avait déclaré à l’époque Matti Gola, écrivain israélien qui avait raconté la relation entre Peres et Rabin. « Mais il est certain que sans Ravin, [les initiatives de paix] n’auraient pas existé, et il est certain que sans Peres, elles auraient aussi été impossibles. »
Après l’assassinat de Rabin en novembre 1995, Peres est devenu Premier ministre par intérim, promettant de continuer le chemin de la paix. Il avait appelé à de nouvelles élections, mais une série d’attentats terroristes violents contre les civils israéliens juste avant l’élection avait entraîné le peuple à choisir la sécurité sur la réconciliation, et à porter au pouvoir le belliqueux Benjamin Netanyahu, du Likud.
Dans le gouvernement travailliste suivant, dirigé par Ehud Barak, Peres avait été ministre de la Coopération régionale, un poste mineur. Après l’échec du gouvernement en 2000, Peres avait concouru pour la présidentielle, mais avait perdu contre Moshe Katsav. Il avait ensuite mis en scène son retour politique, devenant ministre des Affaires étrangères dans un gouvernement de coalition dirigé par Ariel Sharon, député du Likud tenant d’une ligne dure. En 2005, il avait suivi Sharon vers le nouveau parti centriste, Kadima, où il était resté jusqu’à sa démission de la Knesset après son élection comme président en 2007.
Comme le veut la coutume pour ce poste essentiellement honorifique, Peres avait abandonné la politique partisane et avait alors concentré ses discours sur le besoin de parvenir à la paix au Moyen Orient, les dangers d’un Iran nucléaire, et le miracle du succès des high-tech israélienne. Après une carrière tempétueuse en politique, Peres n’a pas été moins vigoureux à son nouveau poste apolitique, ayant un emploi du temps chargé qui comprenait des rencontres dans tout Israël et dans le monde entier.
« Je ne sais pas d’où il tire son énergie », avait déclaré l’une des membres de l’équipe de Peres il y a quelques années, quand son chef s’était adressé à des dirigeants communautaires américains à 8h00 du matin, avant de se rendre à son prochain rendez-vous. « Croyez-moi, avait-elle continué, il a plus de 80 ans et j’ai une trentaine d’années, mais il a plus d’énergie que nous tous. »
En effet, même octogénaire, Peres, qui a reçu une distinction honorifique de la reine d’Angleterre et une médaille présidentielle de la Liberté de Barack Obama, était littéralement infatigable.
Au milieu des années 1990, il a été le premier Premier ministre israélien à avoir un site internet et, vingt ans après, il était toujours à la pointe de la technologie. En 2012, il avait publié une vidéo très tendance le montrant en train de serrer les mains des dirigeants mondiaux et des stars d’Hollywood et du sport, jouer sur son iPad, tout en implorant le spectateur d’être « mon ami pour la paix. »
« Nous étions le peuple du Livre. A présent, nous sommes devenus le peuple de Facebook, encore mieux ! », déclare Peres dans la vidéo. Pour la bande son, Peres avait engagé Noy Alooshe, journaliste et musicien israélien devenu célèbre pour son imitation « Zenga Zenga » se moquant de Mouammar Kadhafi.
Même le jour de son accident vasculaire cérébral, intubé et anesthésié par ses médecins à l’hôpital Tel Hashomer, Peres avait publié une vidéo sur Facebook appelant les Israéliens à acheter des produits fabriqués en Israël.
A l’été 2012, quand le Premier ministre Netanyahu avait publiquement réfléchi à attaquer les installations nucléaires de l’Iran malgré l’opposition de Washington, Peres était entré dans l’arène politique une dernière fois.
Jérusalem ne peut pas « y aller seule » pour des frappes préventives, avait-il déclaré, déclenchant une forte controverse. Les dirigeants du Likud avaient déclaré que les remarques de Peres étaient « une attaque grossière contre la politique officielle du gouvernement élu », et un député était allé jusqu’à suggérer de destituer Peres.
Mais Yitzhak Navon, le cinquième président d’Israël (1978 – 1983), avait défendu Peres, qui avait été son rival pour la direction du Parti travailliste. « Un homme comme Shimon Peres ne peut pas ne pas donner son avis quand il sent la fatalité du moment et pense de tout son cœur qu’il s’agit de son obligation d’exercer son influence », avait-il déclaré.
Avant les élections de 2013, politiques et experts israéliens avaient fait pression pour que l’homme de 89 ans quitte la présidence et se lance encore une fois dans la course pour devenir Premier ministre, mais Peres avait refusé, disant qu’il s’était engagé à terminer son mandat présidentiel de sept ans. Le 27 juillet 2014, il a été remplacé par Reuven Rivlin, qu’il avait battu sept ans plus tôt. Mais même après six décennies de postes politiques, Shimon Peres n’avait pas pris sa retraite, continuant infatigablement son combat pour la paix et la réputation d’Israël dans le monde.
« Nous avons un partenaire. Mais nous devons décider si nous voulons un partenaire pour la paix, ou un partenaire pour la guerre. Je parle avec Abu Mazen [Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne]. Il parle de paix, il s’exprime contre le terrorisme. Il ne parle pas la langue sioniste, mais nous n’attendons pas cela de sa part », avait-il déclaré récemment.
En décembre 2015, des rumeurs sur son décès s’étaient répandues sur les réseaux sociaux que Peres, fidèle à lui-même, avait dissipé sur sa page Facebook. « Je continue mes affaires quotidiennes comme d’habitude pour faire ce que je peux pour aider l’Etat d’Israël et ses citoyens », avait-il écrit.
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