8 de enero de 2016
Pourquoi l’Europe finance-t-elle des organisations israéliennes de gauche ?
7 janvier 2016, 18:07
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Le financement par des
gouvernements étrangers d’organisations de la société civile israélienne
est « une intervention flagrante dans les affaires internes
israéliennes », a déclaré en novembre la ministre de la Justice, Ayelet
Shaked, quand elle a présenté un projet de loi qui forcerait certaines
organisations non gouvernementales (ONG) à déclarer leurs sources de
financement. Des entités étrangères finançant les ONG d’un autre pays,
a-t-elle affirmé, « [cela] contrevient aux normes et aux règles
acceptées dans les relations entre des pays démocratiques ».
La
loi ONG ou loi de transparence demanderait à chaque organisation
israélienne qui reçoit au moins la moitié de ses financements de
gouvernements étrangers – ce qui est le cas pour beaucoup
d’organisations de gauche, mais peu d’organisations de droite – de
déclarer leurs bienfaiteurs étrangers.
Naturellement, le projet de loi, qui a passé
son premier obstacle la semaine dernière et devrait entrer dans la
législation, s’est attiré beaucoup de critiques des ONG affiliées aux
causes de gauche et des politiciens de l’opposition.
L’Union européenne (UE), bien qu’elle finance
beaucoup d’ONG israéliennes, n’a pas publiquement commenté le projet de
loi. Mais de haut-fonctionnaires de l’UE, dans des réunions avec des
interlocuteurs israéliens, n’ont laissé aucun doute quant à leur forte
opposition au projet de loi.
« Nous appelons Israël à promouvoir son
secteur actif des ONG, et à réprimer des actions qui pourraient
complexifier l’espace dans lequel les organisations de la société civile
opère et qui pourraient réduire la liberté d’association et la liberté
d’expression », est-il écrit dans un document contenant des points de
discussion distribué à l’ambassadeur de l’UE en Israël, Lars Faaborg
Anderson, avant sa rencontre avec Shaked en novembre.
« Nous sommes très inquiets du projet de loi
publié par le gouvernement. Améliorer la transparence est légitime. Mais
cette version du projet de loi est discriminatoire et explicitement
destiné à viser certaines ONG qui critiquent la politique du
gouvernement. Cela impactera négativement l’image et la crédibilité
d’Israël en Europe en tant que société ouverte et démocratique », est-il
écrit dans ce document.
Le jeu « d’identification et d’humiliation » des ONG
La liste des points de discussion, dont une copie a été obtenue par le Times of Israel,
accuse les parrains du projet de loi de cibler délibérément des ONG qui
critiquent la politique du gouvernement et les militaires israéliens,
ce qui soulève des « inquiétudes sur l’atmosphère et l’espace dans
lequel une société civile plurielle peut agir en Israël ».
L’UE voit dans le projet de loi une extension
de la « tendance inquiétante à identifier et humilier certaines ONG,
particulièrement dans le domaine des droits de l’Homme, qui peut
contribuer à un déclin général de la valorisation des droits de l’Homme
comme une valeur universelle et fondamentale dans le discours public ».
Si le projet de loi était voté, il pourrait «
impacter sévèrement et négativement » la réputation d’Israël de société
ouverte et démocratique, affirme le document. « Maîtriser l’activité des
ONG est une tendance que nous voyons principalement dans les régimes
autoritaires. Nous appelons Israël à rester fermement dans la famille
des nations démocratiques et à ne pas suivre cette tendance inquiétante
».
Ce sont des mots très forts, délivrés aux
fonctionnaires israéliens des semaines avant que la loi ne parvienne
même à la Knesset. Pourquoi, pourrait-on se demander, l’UE
attache-t-elle tant d’importance à une loi qui ne réduira les activités
d’aucune organisation, ou ne limitera même pas le montant des
financements étrangers qu’elles peuvent recevoir – comme certains
députés israéliens l’avaient proposé – mais demandera simplement la
transparence totale des organisations qui dépendent de gouvernements
étrangers pour leur survie ?
La réponse réside dans l’engagement affirmé de
l’UE pour les droits de l’Homme et à sa conviction de renforcer la
société civile dans chaque pays avec qui elle entretient des relations.
« L’UE voit les droits de l’Homme comme
universels et indivisibles. Elle promeut activement et les défend à la
fois à l’intérieur de ses frontières et dans ses relations avec les pays
qui ne font pas partie de l’UE », a déclaré cette semaine un
fonctionnaire de la délégation européenne à Tel Aviv au Times of Israel. « Dans le cas d’Israël, le respect des droits de l’Homme est intégré dans ses relations avec l’UE ».
L’accord d’association de 2000 qui définit les
liens bilatéraux déclare que les relations « doivent être basées sur le
respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques ».
Le plan d’action commun UE – Israël, le cadre
pratique des relations diplomatiques, établit que les parties «
travailleront ensemble pour promouvoir les valeurs partagées de
démocratie, d’état de droit et de respect des droits de l’Homme et des
lois humanitaires internationales ».
Le soutien de l’UE à des organisations de la
société civile en Israël « repose fermement sur les valeurs que nous
attachons à la contribution de voix pluralistes, y compris de ceux avec
qui nous ne sommes pas nécessairement d’accord, au discours public dans
les sociétés démocratiques », est-il écrit dans les points de discussion
qui ont fuité de l’ambassadeur de l’UE.
Casser le mythe du financement européen
Les critiques accusent régulièrement l’UE de
financer des groupes qu’ils affirment être hostiles au gouvernement
israélien ou à l’armée, comme Breaking the silence,
qui publie des témoignages anonymes d’anciens soldats de l’armée
israélienne au sujet de violations supposées des droits de l’Homme par
l’armée dans les territoires palestiniens.
« Nous savons que Breaking the silence » est
massivement financé par l’UE », a déclaré Gerald Steinberg, le président
de NGO Monitor, un groupe de surveillance qui critique la façon dont
les Européens allouent des fonds aux organisations israéliennes non
lucratives.
Breaking the silence, a-t-il accusé, est
clairement associé au mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanction
(BDS). L’UE a récemment affecté 236 000 euros (un million de shekels) à
un projet de Breaking the silence intitulé « Eduquer pour changer :
l’éducation aux droits de l’Homme dans la société israélienne », a
déclaré Steinberg. Mais il n’est pas précisé quelle part de ce
financement est réellement dépensée à éduquer les jeunes israéliens aux
droits de l’Homme, puisque le groupe est très actif à l’étranger et
n’organise que peu d’évènements en Israël, a-t-il ajouté.
De plus, le mécanisme de financement de l’UE
est trop opaque, s’est plaint Steinberg, professeur de sciences
politiques à l’université Bar-Ilan. L’UE place beaucoup d’argent dans la
société civile israélienne, mais les critères d’attribution des fonds
ne sont pas clairs, selon lui.
« L’UE doit être plus transparente et ouvrir
son processus de financement des ONG à la Knesset et au public
israélien, a-t-il ajouté. Comment ces décisions sont-elles prises ? Qui
prend ces décisions, et quels sont leurs objectifs ? C’est une boîte
complètement obscure. »
L’UE a rejeté ces arguments. L’union ne
finance pas des ONG en tant que telles mais plutôt des projets
spécifiques qui sont soumis à des appels à propositions publics et
examinés dans un processus compétitif, a déclaré un fonctionnaire
européen à Tel Aviv. Alors que le financement est attribué quelque soit
les perspectives politiques de l’organisation, l’UE ne soutient aucun
projet soutenant le BDS, a assuré ce fonctionnaire.
« Il n’y a rien de secret à propos de notre
processus de financement. Les directives pour les projets candidatant
établissent les buts et les objectifs des programmes et sont visibles de
tous, a-t-il expliqué. Nous ne dictons pas quels projets seront
acceptés mais donnons seulement des catégories dans lesquelles les
candidats peuvent soumettre leurs projets ».
Les informations sur tous les projets acceptés
en Israël sont publiées sur le site internet de la délégation de l’UE
en Israël, et chaque financement signé par l’UE est publié sur la base
de données de transparence financière globale de l’UE, a affirmé le
fonctionnaire.
« Il y a une transparence absolue », déclaré
Sharon Pardo, qui dirige le centre d’étude de la société et des
politiques européennes à l’université Ben-Gurion dans le Néguev, et a
lui-même candidaté à des financements de recherche de l’UE. Alors que le
processus de candidature est très compliqué, il est professionnel,
juste et « plus transparent qu’aucune autre institution nationale avec
qui j’ai jamais travaillé », affirme-t-il.
Effectivement, le processus d’obtention de
financements de l’UE pour un projet particulier est si difficile que
cela pourrait expliquer pourquoi tant d’organisations israéliennes de
gauche bénéficient de la générosité de l’Union alors que les ONG de
droite obtiennent habituellement leurs financements de donateurs privés,
a postulé Pardo.
Les ONG du spectre libéral de la société
israélienne sont celles qui connaissent les financements de l’UE et ont
le savoir-faire pour y candidater. Les groupes plus conservateurs, en
revanche, ne sont soit pas au courant, pas intéressés ou simplement
incapables de candidater à ces financements européens. « C’est une tâche
extrêmement complexe et vous avez besoin de vrais professionnels pour
remplir une telle candidature », a-t-il expliqué.
Il est donc injuste d’accuser l’UE de prendre
parti dans les débats israéliens internes, puisque les organisations de
droite sont autorisées à concourir aux mêmes financements que les
organisations de gauche, a continué Pardo.
« Aussi longtemps qu’il y aura des entités
légales opérant légalement en Israël, chacun pourra candidater. Les
militants de droite peuvent aussi candidater, mais le fait est qu’ils ne
le font pas ». La plupart des organisations israéliennes recevant des
financements européens ne s’occupent pas principalement de la question
palestinienne, a-t-il ajouté.
Des centaines de millions de dollars
Israël n’est pas non plus singularisé, affirme
l’UE, rejetant une accusation fréquente selon laquelle elle concentre
un montant disproportionné d’argent sur des organisations érodant la
politique du gouvernement élu d’Israël.
« Nous sommes particulièrement fiers des
nombreux projets que nous avons soutenus ces dernières années aux
Etats-Unis pour le combat contre la peine de mort, a déclaré le
fonctionnaire de l’UE à Tel Aviv. C’est un sujet qui est à peine
controversé aux Etats-Unis, et pourtant le gouvernement américain ne le
critique pas comme une intervention déplacée dans les affaires d’un pays
souverain, et, comme Israël, d’un allié ».
Cependant, selon NGO Monitor, l’UE n’a financé
que trois projets aux Etats-Unis entre 2012 et 2014, pour un montant
total de 1,3 million d’euros (5,5 millions de shekels). En comparaison,
pendant la même période l’UE a soutenu 36 ONG israéliennes pour un total
de 11 millions d’euros (46,6 millions de shekel).
Et il s’agit juste de l’UE. Beaucoup de pays
européens individuels fournissent séparément aux organisations
israéliennes de beaux financements. Shaked a affirmé cette semaine que
des « centaines de millions de dollars sont donnés à des ONG
israéliennes par des pays qui cherchent à intervenir dans le conflit
israélo-palestinien ».
Ces énormes sommes de monnaie, a-t-elle
affirmé, « affaiblissent la revendication morale d’Israël et le
présentent comme un pays qui avant toute chose viole la loi
internationale ». Et donc, a-t-elle conclu, toute critique du projet de
loi « fait partie de la même tentative stupide de salir le nom d’Israël
».
Selon Mordechai Kremnitzer, vice-président
pour la recherché de l’institut démocratique d’Israël, c’est le projet
de loi de Shaked plus que toute autre chose qui donne une mauvaise
réputation à Israël.
« Nos meilleurs amis n’acceptent pas cette
loi, comme par exemple les membres du groupe d’amitié parlementaire
israélo-allemand. Ils regardent les autres pays qui votent de telles
lois, et voient la Syrie, la Russie et l’Egypte, et ne comprennent pas
pourquoi Israël veut être en une telle compagnie ».
L’UE avance un argument supplémentaire contre
les affirmations selon lesquelles elle se mêle des affaires israéliennes
internes en finançant des ONG combattant pour les droits de l’Homme.
« Les doits de l’Homme, en général, et les
sujets relatifs à l’occupation israélienne des territoires palestiniens
et au conflit israélo-palestinien, ne sont pas des affaires internes,
selon les points de discussion de l’ambassadeur de l’UE. Défendre et
promouvoir les droits de l’Homme et les libertés fondamentales ne peut
pas être considéré comme une interférence illicite, particulièrement
quand de telles activités proviennent de la société civile israélienne
elle-même ».
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