8 de enero de 2016

Pourquoi l’Europe finance-t-elle des organisations israéliennes de gauche ?

 The Times of Israël

Pourquoi l’Europe finance-t-elle des organisations israéliennes de gauche ?

Le projet de loi d’Ayelet Shaked sur les ONG cherche à réduire l’interférence des entités étrangères dans les affaires israéliennes ; l’UE déclare qu’il nuira à la réputation du pays de « société ouverte et démocratique »

7 janvier 2016, 18:07 6
Des militants de droite manifestent contre l'organisation israélienne Breaking the silence, à l'université Hébraïque de Jérusalem, le 22 décembre 2015. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)
Le financement par des gouvernements étrangers d’organisations de la société civile israélienne est « une intervention flagrante dans les affaires internes israéliennes », a déclaré en novembre la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, quand elle a présenté un projet de loi qui forcerait certaines organisations non gouvernementales (ONG) à déclarer leurs sources de financement. Des entités étrangères finançant les ONG d’un autre pays, a-t-elle affirmé, « [cela] contrevient aux normes et aux règles acceptées dans les relations entre des pays démocratiques ». 
 
La loi ONG ou loi de transparence demanderait à chaque organisation israélienne qui reçoit au moins la moitié de ses financements de gouvernements étrangers – ce qui est le cas pour beaucoup d’organisations de gauche, mais peu d’organisations de droite – de déclarer leurs bienfaiteurs étrangers. 

Naturellement, le projet de loi, qui a passé son premier obstacle la semaine dernière et devrait entrer dans la législation, s’est attiré beaucoup de critiques des ONG affiliées aux causes de gauche et des politiciens de l’opposition.

L’Union européenne (UE), bien qu’elle finance beaucoup d’ONG israéliennes, n’a pas publiquement commenté le projet de loi. Mais de haut-fonctionnaires de l’UE, dans des réunions avec des interlocuteurs israéliens, n’ont laissé aucun doute quant à leur forte opposition au projet de loi.
« Nous appelons Israël à promouvoir son secteur actif des ONG, et à réprimer des actions qui pourraient complexifier l’espace dans lequel les organisations de la société civile opère et qui pourraient réduire la liberté d’association et la liberté d’expression », est-il écrit dans un document contenant des points de discussion distribué à l’ambassadeur de l’UE en Israël, Lars Faaborg Anderson, avant sa rencontre avec Shaked en novembre.

« Nous sommes très inquiets du projet de loi publié par le gouvernement. Améliorer la transparence est légitime. Mais cette version du projet de loi est discriminatoire et explicitement destiné à viser certaines ONG qui critiquent la politique du gouvernement. Cela impactera négativement l’image et la crédibilité d’Israël en Europe en tant que société ouverte et démocratique », est-il écrit dans ce document.

Le jeu « d’identification et d’humiliation » des ONG

La liste des points de discussion, dont une copie a été obtenue par le Times of Israel, accuse les parrains du projet de loi de cibler délibérément des ONG qui critiquent la politique du gouvernement et les militaires israéliens, ce qui soulève des « inquiétudes sur l’atmosphère et l’espace dans lequel une société civile plurielle peut agir en Israël ».

Lars Faaborg-Andersen, l'émissaire de l'Union européenne en Israël (Crédit : Yossi Zwecker)
Lars Faaborg-Andersen, l’émissaire de l’Union européenne en Israël (Crédit : Yossi Zwecker)

L’UE voit dans le projet de loi une extension de la « tendance inquiétante à identifier et humilier certaines ONG, particulièrement dans le domaine des droits de l’Homme, qui peut contribuer à un déclin général de la valorisation des droits de l’Homme comme une valeur universelle et fondamentale dans le discours public ».

Si le projet de loi était voté, il pourrait « impacter sévèrement et négativement » la réputation d’Israël de société ouverte et démocratique, affirme le document. « Maîtriser l’activité des ONG est une tendance que nous voyons principalement dans les régimes autoritaires. Nous appelons Israël à rester fermement dans la famille des nations démocratiques et à ne pas suivre cette tendance inquiétante ».
Ce sont des mots très forts, délivrés aux fonctionnaires israéliens des semaines avant que la loi ne parvienne même à la Knesset. Pourquoi, pourrait-on se demander, l’UE attache-t-elle tant d’importance à une loi qui ne réduira les activités d’aucune organisation, ou ne limitera même pas le montant des financements étrangers qu’elles peuvent recevoir – comme certains députés israéliens l’avaient proposé – mais demandera simplement la transparence totale des organisations qui dépendent de gouvernements étrangers pour leur survie ?

La réponse réside dans l’engagement affirmé de l’UE pour les droits de l’Homme et à sa conviction de renforcer la société civile dans chaque pays avec qui elle entretient des relations.
« L’UE voit les droits de l’Homme comme universels et indivisibles. Elle promeut activement et les défend à la fois à l’intérieur de ses frontières et dans ses relations avec les pays qui ne font pas partie de l’UE », a déclaré cette semaine un fonctionnaire de la délégation européenne à Tel Aviv au Times of Israel. « Dans le cas d’Israël, le respect des droits de l’Homme est intégré dans ses relations avec l’UE ».

L’accord d’association de 2000 qui définit les liens bilatéraux déclare que les relations « doivent être basées sur le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques ».
Le plan d’action commun UE – Israël, le cadre pratique des relations diplomatiques, établit que les parties « travailleront ensemble pour promouvoir les valeurs partagées de démocratie, d’état de droit et de respect des droits de l’Homme et des lois humanitaires internationales ».
Le soutien de l’UE à des organisations de la société civile en Israël « repose fermement sur les valeurs que nous attachons à la contribution de voix pluralistes, y compris de ceux avec qui nous ne sommes pas nécessairement d’accord, au discours public dans les sociétés démocratiques », est-il écrit dans les points de discussion qui ont fuité de l’ambassadeur de l’UE.

Casser le mythe du financement européen

Les critiques accusent régulièrement l’UE de financer des groupes qu’ils affirment être hostiles au gouvernement israélien ou à l’armée, comme Breaking the silence, qui publie des témoignages anonymes d’anciens soldats de l’armée israélienne au sujet de violations supposées des droits de l’Homme par l’armée dans les territoires palestiniens.

« Nous savons que Breaking the silence » est massivement financé par l’UE », a déclaré Gerald Steinberg, le président de NGO Monitor, un groupe de surveillance qui critique la façon dont les Européens allouent des fonds aux organisations israéliennes non lucratives. 

Breaking the silence, a-t-il accusé, est clairement associé au mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanction (BDS). L’UE a récemment affecté 236 000 euros (un million de shekels) à un projet de Breaking the silence intitulé « Eduquer pour changer : l’éducation aux droits de l’Homme dans la société israélienne », a déclaré Steinberg. Mais il n’est pas précisé quelle part de ce financement est réellement dépensée à éduquer les jeunes israéliens aux droits de l’Homme, puisque le groupe est très actif à l’étranger et n’organise que peu d’évènements en Israël, a-t-il ajouté.

De plus, le mécanisme de financement de l’UE est trop opaque, s’est plaint Steinberg, professeur de sciences politiques à l’université Bar-Ilan. L’UE place beaucoup d’argent dans la société civile israélienne, mais les critères d’attribution des fonds ne sont pas clairs, selon lui.

« L’UE doit être plus transparente et ouvrir son processus de financement des ONG à la Knesset et au public israélien, a-t-il ajouté. Comment ces décisions sont-elles prises ? Qui prend ces décisions, et quels sont leurs objectifs ? C’est une boîte complètement obscure. »

L’UE a rejeté ces arguments. L’union ne finance pas des ONG en tant que telles mais plutôt des projets spécifiques qui sont soumis à des appels à propositions publics et examinés dans un processus compétitif, a déclaré un fonctionnaire européen à Tel Aviv. Alors que le financement est attribué quelque soit les perspectives politiques de l’organisation, l’UE ne soutient aucun projet soutenant le BDS, a assuré ce fonctionnaire.

« Il n’y a rien de secret à propos de notre processus de financement. Les directives pour les projets candidatant établissent les buts et les objectifs des programmes et sont visibles de tous, a-t-il expliqué. Nous ne dictons pas quels projets seront acceptés mais donnons seulement des catégories dans lesquelles les candidats peuvent soumettre leurs projets ». 

Les informations sur tous les projets acceptés en Israël sont publiées sur le site internet de la délégation de l’UE en Israël, et chaque financement signé par l’UE est publié sur la base de données de transparence financière globale de l’UE, a affirmé le fonctionnaire.

« Il y a une transparence absolue », déclaré Sharon Pardo, qui dirige le centre d’étude de la société et des politiques européennes à l’université Ben-Gurion dans le Néguev, et a lui-même candidaté à des financements de recherche de l’UE. Alors que le processus de candidature est très compliqué, il est professionnel, juste et « plus transparent qu’aucune autre institution nationale avec qui j’ai jamais travaillé », affirme-t-il.

Effectivement, le processus d’obtention de financements de l’UE pour un projet particulier est si difficile que cela pourrait expliquer pourquoi tant d’organisations israéliennes de gauche bénéficient de la générosité de l’Union alors que les ONG de droite obtiennent habituellement leurs financements de donateurs privés, a postulé Pardo. 

Les ONG du spectre libéral de la société israélienne sont celles qui connaissent les financements de l’UE et ont le savoir-faire pour y candidater. Les groupes plus conservateurs, en revanche, ne sont soit pas au courant, pas intéressés ou simplement incapables de candidater à ces financements européens. « C’est une tâche extrêmement complexe et vous avez besoin de vrais professionnels pour remplir une telle candidature », a-t-il expliqué.

Il est donc injuste d’accuser l’UE de prendre parti dans les débats israéliens internes, puisque les organisations de droite sont autorisées à concourir aux mêmes financements que les organisations de gauche, a continué Pardo. 

« Aussi longtemps qu’il y aura des entités légales opérant légalement en Israël, chacun pourra candidater. Les militants de droite peuvent aussi candidater, mais le fait est qu’ils ne le font pas ». La plupart des organisations israéliennes recevant des financements européens ne s’occupent pas principalement de la question palestinienne, a-t-il ajouté.

Des centaines de millions de dollars

Israël n’est pas non plus singularisé, affirme l’UE, rejetant une accusation fréquente selon laquelle elle concentre un montant disproportionné d’argent sur des organisations érodant la politique du gouvernement élu d’Israël.

« Nous sommes particulièrement fiers des nombreux projets que nous avons soutenus ces dernières années aux Etats-Unis pour le combat contre la peine de mort, a déclaré le fonctionnaire de l’UE à Tel Aviv. C’est un sujet qui est à peine controversé aux Etats-Unis, et pourtant le gouvernement américain ne le critique pas comme une intervention déplacée dans les affaires d’un pays souverain, et, comme Israël, d’un allié ».

Cependant, selon NGO Monitor, l’UE n’a financé que trois projets aux Etats-Unis entre 2012 et 2014, pour un montant total de 1,3 million d’euros (5,5 millions de shekels). En comparaison, pendant la même période l’UE a soutenu 36 ONG israéliennes pour un total de 11 millions d’euros (46,6 millions de shekel).

Et il s’agit juste de l’UE. Beaucoup de pays européens individuels fournissent séparément aux organisations israéliennes de beaux financements. Shaked a affirmé cette semaine que des « centaines de millions de dollars sont donnés à des ONG israéliennes par des pays qui cherchent à intervenir dans le conflit israélo-palestinien ».

Ayelet Shaked (photo credit: Gidon Markowicz/Flash90)
Ayelet Shaked (Crédit : Gidon Markowicz/Flash90)

Ces énormes sommes de monnaie, a-t-elle affirmé, « affaiblissent la revendication morale d’Israël et le présentent comme un pays qui avant toute chose viole la loi internationale ». Et donc, a-t-elle conclu, toute critique du projet de loi « fait partie de la même tentative stupide de salir le nom d’Israël ».

Selon Mordechai Kremnitzer, vice-président pour la recherché de l’institut démocratique d’Israël, c’est le projet de loi de Shaked plus que toute autre chose qui donne une mauvaise réputation à Israël.
« Nos meilleurs amis n’acceptent pas cette loi, comme par exemple les membres du groupe d’amitié parlementaire israélo-allemand. Ils regardent les autres pays qui votent de telles lois, et voient la Syrie, la Russie et l’Egypte, et ne comprennent pas pourquoi Israël veut être en une telle compagnie ».

L’UE avance un argument supplémentaire contre les affirmations selon lesquelles elle se mêle des affaires israéliennes internes en finançant des ONG combattant pour les droits de l’Homme.
« Les doits de l’Homme, en général, et les sujets relatifs à l’occupation israélienne des territoires palestiniens et au conflit israélo-palestinien, ne sont pas des affaires internes, selon les points de discussion de l’ambassadeur de l’UE. Défendre et promouvoir les droits de l’Homme et les libertés fondamentales ne peut pas être considéré comme une interférence illicite, particulièrement quand de telles activités proviennent de la société civile israélienne elle-même ».

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