21 de junio de 2017
L’économie à l’abandon pourrait bien couler le “Titanic” Israël, préviennent les experts
ANALYSE 2 rapports soulignent la productivité basse, une éducation digne du tiers monde, des infrastructures inadaptées, des inégalités et une pauvreté croissantes
14 juin 2017, 17:57 3
L’été dernier, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a tenu quelques briefings privés avec des groupes de presse israéliens, pour tenter de contrer l’image négative de lui-même qu’il pense que les médias transmettent à tort.
Exposant sa vision pour le pays, les succès des gouvernements qu’il a dirigées, et les défis auxquels l’Etat juif va faire face dans les années à venir, Netanyahu a décrit Israël comme une super puissance mondiale en plein essor. La vision selon laquelle il serait un animal politique frénétique, obsédé par sa propre survie politique et négligeant les besoins du pays, est un détournement de la réalité, cherchait-il à démontrer.
Le mois dernier, lors du pot traditionnel de Pessah au bureau du Premier ministre, Netanyahu a expliqué directement au public le message qu’il avait essayé de faire passer dans ces briefings.
« Je vais vous dire ce que je vois dans les médias, a dit Netanyahu. Cela ne reflète pas ce que le public ressent. C’est une industrie du désespoir. Là où la presse voit du chômage, je vois le plein emploi. Là où la presse voit une économie en ruines, je vois une économie florissante. Là où ils voient des embouteillages, je vois des carrefours, des trains et des ponts. Là où il voient un état en lambeaux et sur le point de s’effondrer, je vois Israël comme une puissance mondiale en plein essor. »
Plus que les triomphes politiques magnifiques qu’il souligne souvent, ou le développement des implantations israéliennes qu’il vante parfois devant des publics qui parlent hébreu, par dessus tout, a-t-il déclaré aux journalistes l’année dernière, c’est l’économie forte du pays qui trône en tête de ses satisfactions, prouvant sa réussite à transformer Israël en une force qui compte.
Selon le Premier ministre, la puissance économique pourrait être le facteur le plus important dans la construction d’un pays fort, parce que sans cela, Israël ne sera pas capable de financer son armée et de se défendre contre ses innombrables menaces existentielles. La puissance diplomatique, a-t-il précisé, si elle est également nécessaire pour le succès du pays, est uniquement la conséquence d’une économie et d’une armée forte, et peut facilement être achetée en exportant la technologie d’Israël et son savoir-faire militaire.
Naturellement, les études universitaires sur les perspectives économiques d’Israël ne contredisent pas le Premier ministre sur le fait qu’une économie forte est un prérequis à une armée forte. Mais deux rapports examinant à la fois la puissance immédiate et à long-terme de l’économie d’Israël suggèrent que, si au cours des dernières années, on a vu plusieurs signes économiques positifs dans un certain nombre de domaines, Israël fait face à des « tendances inquiétantes » qui pourraient, au final, avoir des effets désastreux sur sa population en croissance.
Selon le rapport « Tableau de la Nation 2017 » publié dimanche par le Centre Taub pour les Etudes Sociales et Politiques en Israël, Israël est le pays qui dispose du moins de revenus disponibles de tous les pays de l’OCDE, avec une population vieillissante et des coûts croissants, et ses « sources actuelles de croissance économique ne sont pas durables ».
Un autre rapport, publié ce mois-ci par l’Institut Shoresh en recherches socio-économiques, qui observe les tendances économiques sur la totalité des 69 ans de l’histoire du pays, affirme que loin de garantir à Israël une armée forte et donc une place de puissance mondiale, l’économie montre des lacunes profondément enracinées et qui, à long terme, risquent d’affaiblir l’armée et constituent une « menace existentielle » pour le futur du pays.
« C’est un signe avant-coureur. Une crise secouant la nation, venant des sphères de la sécurité et/ou de l’économie, pourrait entraîner un processus sans retour, avertit l’Institut Shoresh de manière apocalyptique. Israël se trouve à la croisée des chemins. Les décisions qu’il prend maintenant vont littéralement déterminer l’existence du pays dans les prochaines décennies. »
Selon le professeur Dan Ben-David, fondateur et président de l’Institut Shoresh et co-auteur du rapport, si Netanyahu « continue à ignorer le futur », le pays pourrait se trouver devant une catastrophe aux proportions gigantesques.
« L’année passée a vu une diminution du chômage et une hausse importante du PIB, note le Tableau annuel de la Nation, mais malheureusement, il semble que cette tendance positive ne va pas continuer et de nouvelles sources de croissances doivent être trouvées. »
Si le PIB, souvent perçu comme un indicateur d’une bonne économie, a augmenté l’année dernière de 4 %, le Centre Taub qualifie le chiffre de « cas particulier et non de tendance ».
Suggérant que la raison de l’augmentation est uniquement un investissement massif d’Intel dans son usine de Kiryat Gat, et une hausse des importations de voitures due à un changement attendu dans la politique de taxation, « considérée sur un long terme, la croissance de l’économie israélienne a été décevante, précise le rapport. En fait, l’année dernière a vu une tendance encore plus négative dans la productivité du travail, après cinq années de croissante lente. »
En outre, alors qu’Israël occupe une position de milieu de classement de l’OCDE en terme de PIB (22e sur 34) et en termes de taux de pauvreté monétaire (24e), il est à la dernière place pour le revenu minimum disponible au-dessus du seuil de pauvreté, la somme d’argent dont chaque individu dispose après avoir payé ses impôts et ses dépenses contraintes du quotidien.
Et cela se concrétise par une statistique inquiétante : parmi les pays développés, Israël a le plus haut pourcentage de sa population vivant en dessous de seuil de pauvreté.
« Révolution »
Intitulé « Les défis et domaines politiques socioéconomiques primaires d’Israël demandant un traitement de fond », le rapport de l’Institut Shoresh a été publié pour le 40e anniversaire célébré ce mois-ci de la « révolution » électorale de 1977 qui a propulsé le Likud au pouvoir pour la première fois de l’histoire d’Israël.
Le Parti travailliste et ses précurseurs, comme le Mapai, ont dirigé Israël pendant les 29 premières années du pays, sans jamais perdre une élection. Ce n’est qu’en 1977, quand le Likud de Menachem Begin a battu pour la première fois Shimon Peres, que la gauche a perdu son hégémonie sur la vie politique israélienne.
Adoptant une perspective de long terme, Ben-David et son co-auteur, le professeur Ayal Kimhi, ont analysé les tendances économiques depuis 1948, et particulièrement lors des quarante dernières années, afin de comprendre les défis socio-économiques se dressant devant Israël, aujourd’hui et pour les années à venir.
Commandé, et non rémunéré, par le Conseil économique national du gouvernement, le rapport a été préparé dans le cadre d’un bilan de politique détaillé que l’organe de conseil met en place pour le gouvernement. Alors qu’il devait à l’origine constituer un document interne, Ben-David a déclaré que lui et Kimhi avaient eu le sentiment que c’était « quelque chose qui ne devait pas simplement rester interne au gouvernement » et ont décidé de rendre leurs conclusions publiques.
« Nous pensons que la population doit être consciente des défis majeurs qui arrivent afin que nous puissions faire quelque chose tant que nous en avons la possibilité, a-t-il déclaré au Times of Israël. Nous avons la possibilité, mais devons agir ensemble. »
En fournissant un contexte historique et des références internationales qui comparent Israël aux autres pays développés, le rapport cherche à contredire l’idée que l’économie israélienne se porte bien. Comme le rapport Taub, il prend soin de souligner les points positifs à court terme, comme la croissance, à comparer particulièrement avec le ralentissement économique mondial de ces dernières années. Mais cette analyse optimiste, affirment les auteurs, ne permet pas de prendre en compte les tendances à long terme plus problématiques.
Les indicateurs clefs pour mesurer la force de l’économie d’Israël, disent-ils, et dans les domaines où il reste loin derrière les pays développés, sont la productivité, l’inégalité et le taux de pauvreté.
Après la création de l’Etat d’Israël en 1948, la productivité d’Israël a augmenté à un rythme plus rapide que celui des Etats-Unis, et a presque rattrapé son retard en termes de rythme de productivité sur les Etats-Unis en 1970. Mais depuis, il est passé d’une phase de rattrapage du retard sur les Etats-Unis à une perte de puissance constante.
En terme de PIB, Israël a constamment reculé derrière la moyenne du G7 depuis le milieu des années 1970, avec un fossé multiplié par trois. Cela, note le rapport, « reflète la disparité croissante entre ce qu’une personne employée en Israël peut obtenir et ce qu’une personne peut obtenir dans les autres pays. »
Pourtant, Israël n’a pas seulement pris du retard par rapport aux grandes économies mondiales. Sa productivité de travail est maintenant en dessous de presque la moitié de tous les pays de l’OCDE. En 2015, le PIB par heure travaillé aux Etats-Unis atteignait les 68 dollars, soit deux tiers de plus que les 41 dollars d’Israël.
« Il est difficile de voir comment ces trajectoires peuvent continuer à s’éloigner pendant plusieurs décennies sans que cela n’entraîne le départ des personnes éduquées et compétentes d’Israël, jusqu’à un point qui pourrait devenir irréversible », pointe le rapport Shoresh.
« La productivité est vraiment ce qui soutient le niveau de vie d’Israël, et d’autres pays, a déclaré Ben-David. Dans notre cas, la productivité est basse et elle baisse de plus en plus par rapport aux pays majeurs. Cela se produit depuis des décennies et c’est un processus constant et véritablement problématique. »
Et c’est pourquoi le niveau de vie d’Israël, généralement évoqué comme le niveau des inégalités salariales, est en train de devenir l’un des pires du monde développé.
L’inégalité de revenus est deuxième seulement derrière les Etats-Unis, mais les niveaux de pauvreté du pays sont plus haut que dans chaque pays développé, et presque le double de la moyenne de l’OCDE.
Selon Ben-David, c’est dû au « changement fondamental dans les priorités nationales du pays », commencé dans les années 1970.
« Les priorités nationales sont passées d’une focalisation sur le bien-être général aux demandes des groupes de certains secteurs », a-t-il déclaré en ajoutant que les problèmes sont devenus encore plus sensibles au cours de la dernière décennie.
Dans les premières années de l’Etat, « c’était un pays qui n’avait pas un shekel, ou une lire, à son nom. Il rassemblait des gens du monde entier qui n’avaient que leurs vêtements sur leurs dos et avait un rythme de croissance phénoménal en terme de population. Et pourtant, il a construit des universités, a déclaré Ben-David. La nourriture était rationnée dans les années 50, et nous construisions des hôpitaux. Même si la population croissait à un rythme exponentiel, le nombre de facultés dans les universités de recherche grandissait encore plus vite. Nous avions sept grandes universités de recherche en 1970. Nous n’en avons pas construite une depuis. »
« On ne peut pas abandonner la moitié de la société »
Ben-David insiste sur le fait que les conclusions du rapport ne doivent pas être réduites à un autre débat stérile sur la politique sociale.
Si les politiques éducatives et économiques d’Israël ne changent pas, son futur pourrait bien être en danger. On ne peut pas laisser de côté la moitié de la société et dire, « l’autre moitié subviendra à tous les besoins », a-t-il déclaré.
Oui, Israël se développe comme nation start-up, en produisant de la haute technologie et des biotechnologies. Mais c’est seulement une partie d’Israël, a indiqué Ben-David. Il y a l’autre Israël, qui ne reçoit ni les outils, ni les conditions pour travailler dans une économie moderne. « Cet autre Israël est énorme, et c’est comme un poids énorme sur nos épaules, qui nous pousse vers le bas. »
Le centre Taub comme l’Institut Shoresh décrivent un système scolaire qui produit une génération d’élèves avec peu de réussite, peu de productivité horaire, des infrastructures de transport terriblement inadéquates, un marché du logement qui décourage l’investissement et des inégalités substantielles dans la couverture de soins médicaux par l’Etat.
Pendant vingt ans, les écoliers israéliens ont constamment été classés derrière ceux des autres économies industrialisées occidentales en terme de réussite scolaire.
Dans les établissements scolaires publics et religieux, qui représentent plus de 50 % des élèves des écoles élémentaires d’Israël, la réussite académique mesurée par des tests standardisés internationalement (PISA) ne correspond pas à ce qui est considéré comme une éducation digne des pays développés.
« Les enfants qui reçoivent une éducation digne du tiers monde ne pourront que maintenir une économie du tiers-monde. Mais une économie du tiers-monde ne sera pas capable de maintenir l’armée de classe mondiale dont Israël a besoin afin de survivre dans la région la plus dangereuse sur Terre », a déclaré Ben-David.
Les infrastructures physiques ont aussi été négligées. Les routes d’Israël sont parmi les plus utilisées du monde industrialisé, même si le taux de possession de voiture y est plus bas. Depuis les années 1970, Israël a triplé son taux d’embouteillage sur les routes.
Les standards de santé ont aussi chuté.
Alors que le rapport du Centre Taub affirme que la santé générale de la population en Israël est légèrement meilleure que dans de grands pays européens, il souligne qu’avec sa population vieillissante, cet avantage va « probablement s’estomper… et que l’Etat doit prendre les mesures appropriées à temps pour gérer ces changements démographiques attendus. »
Le rapport de l’Institution Shoresh est plus pessimiste.
Le nombre de lits d’hôpitaux par habitant en Israël a sensiblement chuté depuis la fin des années 1970 et il se trouve maintenant en fin de classement de l’OCDE, explique-t-on. Dans la même logique, Israël dispose d’un des nombres les plus bas d’infirmières par habitant de l’OCDE, et ce nombre chute également. Ces standards très bas, précise le rapport, ont contribué au doublement du taux de mortalité par des maladies infectieuses et des parasites, alors que la moyenne du taux de l’OCDE est restée stable sur la même période.
« Les conditions hospitalières en Israël ne correspondent pas à celle d’un pays développé », précise le rapport.
Un Iceberg à l’horizon, à moins que nous ne changions de cap
Il n’est peut-être pas trop tard pour arranger la situation.
« Israël n’a pas encore passé le point de non retour », note le rapport de l’Institut Shoresh. Pourtant, « à la lumière du rythme rapide des changements démographiques, il n’y a qu’une petite fenêtre d’opportunité restante pour prendre des décisions qui sont déjà très difficiles à prendre aujourd’hui. »
Selon Ben-David, les projections actuelles prévoient une des deux crises « existentielles » : soit l’économie d’Israël ne sera tout simplement pas capable de financer ou de fournir les compétences nécessaires à la puissance militaire dont Netanyahu affirme que son existence dépend, soit la jeune génération, voyant de meilleures opportunités et des standards de vie plus élevés ailleurs, quittera le pays.
« Si vous continuez à leur mettre la pression, ils ont un choix, ils n’ont pas à rester ici. Pour l’instant, je pense que le choix de la plupart d’entre eux est de rester ici, mais oui, ça pourrait changer », a-t-il déclaré.
Le Bureau du Premier ministre et le Conseil économique national du gouvernement ont refusé de commenter aussi bien le rapport que ses conclusions.
Interrogé quant à savoir s’il voyait de l’espoir étant les politiques économiques des gouvernements récents, Ben-David a déclaré. « Nous sommes tous dans le même bateau. Mais c’est le Titanic. Et maintenant, il y a un iceberg devant nous. Cela va dépendre de notre capacité à modifier le cap. »
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