Dans le sillage de l’attaque terroriste de mercredi dans les locaux de Charlie Hebdo ayant tué 12 personnes en plein coeur de Paris, le grand rabbin de France Haïm Korsia a appelé la communauté juive à diriger les efforts de reconstruction de la fraternité de la société française.
« Nous devons donner de l’espoir à toute la société. C’est une de nos tâches en tant que Juifs de donner de l’espoir et d’être or lagoyim, une lumière pour les nations », a déclaré, jeudi, Korsia au Times of Israel.
Mais alors que beaucoup de personnes vantent ces déclarations, d’autres voix dans la communauté juive de France forte de quelque 500 000 personnes se demandent où se cachait cette fameuse fraternité française quand les Juifs du pays ont fait les frais de vagues d’attaques djihadistes antisémites et islamistes. Il y a eu trop de rhétorique favorable et trop peu d’action, disent-ils.
« Je suis heureux que la France se soit mobilisée contre le crime qui s’est passé hier … mais il me laisse un certain goût d’amertume dans mon cœur, car il y a quelques années, quand des Juifs et des enfants juifs ont été assassinés, je n’ai pas vu la même mobilisation, » a déclaré Richard C. Abitbol, le président de la Confédération des Juifs de France et des Amis d’Israël (CJFAI).
Des attaques meurtrières contre les communautés juives d’Europe ont fait récemment les manchettes, comme au
Musée juif de Bruxelles en mai 2014 où quatre personnes ont été tuées ou encore dans
une école juive de Toulouse, où quatre élèves et un enseignant ont été asssassinés en mars 2012.
Mais ce n’est guère un phénomène récent en France qui a vu en 1978 à l’aéroport de Paris une attaque contre les passagers pour un vol vers Tel Aviv qui a fait huit morts (y compris les terroristes), une explosion contre une synagogue de Paris en octobre 1980 qui a tué quatre personnes et en a blessé vingt, et l’attentat non résolu en août 1982 contre le restaurant Goldenberg dans le quartier juif de Paris dans lequel six personnes sont mortes et 22 ont été blessées.
Selon Abitbol, les Français ne réagissent pas de la même manière si l’attaque touche un Juif ou un non-Juif.
« Ce n’est pas le moment de le dire, mais la société n’est pas unie de la même manière dans le cas de crimes contre les Juifs », a dit Abitbol, qui estime que cela contribue à la reprise récente de l’immigration en Israël.
« Ce n’est pas le moment de le dire, mais la société n’est pas unie de la même manière dans le cas de crimes contre les Juifs »
Richard C. Abitbol
Le judaïsme français est arrivé premier pour les chiffres de l’alyah en 2014, pour atteindre
7 000, et au moins 10 000 sont attendus cette année. Une étude effectuée en mai 2014 a montré que 74 % des Juifs français envisagent une émigration.
La communauté est également la cible de constantes petits incidents antisémites.
« Nous assistons chaque jour à des attaques contre des écoles, des synagogues, des entreprises, » dit Abitbol en citant l’incendie criminel de la semaine dernière
contre une synagogue et l’attaque en novembre sur un adolescent juif après une autre tentative d’incendie dans un
restaurant casher. Il y a aussi une multitude de petits crimes contre les Juifs qui ne font pas les manchettes.
« Je ne connais personne qui n’a pas eu à faire face à de l’antisémitisme de la part de musulmans », a-t-il ajouté.
Les violentes manifestations pro-palestiniennes lors de l’opération Bordure protectrice cet été ont été pour de nombreux juifs un rappel visible du changement dans la société française.
« Lorsque vous entendez [crier] ‘mort aux Juifs’ en plein Paris, c’est incroyable, mais c’est un fait », dit Bernard Musicant, un membre actif de la communauté juive (et blogueur du
Times of Israël).
« J’espère que la France va se réveiller, mais c’est un fait politique que les Musulmans représentent 10 % de la population française tandis que les Juifs ne représentent
que 1 %. »
« Je pense que la France doit se réveiller parce que l’islamisme est le vrai problème, non seulement pour les Juifs, mais aussi pour les Musulmans et l’ensemble de la République française », a déclaré Musicant.
C’est aussi le message que tient Raphaël Haddad, un membre du comité de rédaction du site
La Règle du Jeu du philosophe Bernard-Henri Levy, au cours d’une longue conversation avec le
Times of Israel.
Haddad, l’ancien président de l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF), dit que, après l’attaque contre Charlie Hebdo, toute la société française sait que « nous devons lutter contre le même ennemi ».
« Si vous êtes un islamiste, si vous partagez cette idéologie de l’islam radical, vous êtes contre les Juifs, Israël, l’Occident, l’homosexualité, la liberté pour les femmes, et tout ce que représente la démocratie », dit Haddad.
Roger Cukierman, président du CRIF, a également parlé du terrorisme comme une attaque contre la démocratie.
« Il y a des gens – une petite minorité, mais néanmoins dangereuse – vivant au milieu de nous qui ne supporte pas l’ouverture, la diversité, la presse pluraliste et la liberté de culte. Le terrorisme islamiste est aujourd’hui la principale menace pour notre sécurité et notre bien-être, et il doit être combattu vigoureusement partout, parce que c’est un poison pour nos sociétés », a déclaré Cukierman.
Pour Haddad, ce qui est arrivé mercredi était le cauchemar que les Juifs français redoutaient : deux Français de naissance, des Musulmans élevés dans les ecoles françaises, qui se sont radicalisés en prison et sur Internet, prenant les armes et assassinant une douzaine de personnes.
Mais il a aussi souligné un autre danger possible pour la communauté juive, la montée de l’extrémisme politique – l’extrême-droite, qui a recueilli 25 % du vote populaire aux dernières élections, et l’extrême-gauche. Haddad craint que les djihadistes islamistes et l’extrême-droite commencent à lutter l’un contre l’autre dans l’arène politique.
« Si cela arrive, il sera difficile pour les Juifs de se positionner au milieu, et ce sera la fin des Juifs en France parce que je ne crois pas une seconde que l’extrême droite va nous protéger », a-t-il ajouté.
Raphael Haddad (Crédit : autorisation)
Haddad est en passe de devenir père pour la première fois et a décidé de rester en France. Il a noté que de nombreux jeunes Français s’installent dans d’autres pays en raison de la situation économique. « Les Juifs ne sont pas une exception», dit-il.
« Jusqu’à présent, je suis en train de me battre … Je me bats pour les Juifs pauvres qui n’ont pas les moyens de partir; Je pense à eux dans ce choix « , explique-t-il.
Mais pour le principal expert de l’antisémitisme le professeur Robert Wistrich, la France est une cause perdue.
« Il est trop tard, ils ne seront pas en mesure de transformer fondamentalement cette situation. Comme une maladie qui n’a pas été traitée pendant plus d’une décennie, la France est maintenant à un stade avancé de la maladie, « a déclaré Wistrich au Times of Israel en août dernier.
Le grand rabbin Korsia n’accepte pas le diagnostic de Wistrich. « Il y a toujours un remède. » dit-il, « Si vous pensez qu’il n’y a pas de solution, vous n’êtes pas juif ».
Etre juif, selon lui, c’est « toujours, toujours, toujours chercher une solution. »
Et de dire : « Lorsque Moïse et son peuple étaient debout en face de la mer Rouge et l’armée égyptienne fonçait sur eux, tout semblait perdu. Mais le peuple juif a dit : ‘Nous avons une solution’. »
« Parfois, la seule façon est d’entrer dans la mer Rouge – d’entrer et de reconstruire une nouvelle solidarité, de reconstruire des liens entre Chrétiens, Protestants, Catholiques, Musulmans et Juifs, et de reconstruire l’espoir », a conclu Korsia.
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