10 de febrero de 2017
La sécularisation express des jeunes Espagnols
LE MONDE | • Mis à jour le |Par Sandrine Morel (Madrid, correspondance)
Madrid — Où est
passé le « grand réservoir spirituel de l’Occident », comme fut
longtemps surnommée l’Espagne ? Ces
quinze dernières années, la sécularisation de la société a avancé à un rythme
effréné. Selon l’Institut national de
statistiques (INE), à peine
22 % des couples qui se sont mariés au premier semestre 2016 sont passés
devant l’autel. Du jamais vu.
En 2000, 75,6 % des
mariages étaient célébrés à l’église. En 2005, c’était encore le cas de 60,3 % des unions.
En 2010, ce pourcentage est descendu à 41,1 %, et en 2015, à
29,1 %. La vitesse du phénomène surprend les sociologues eux-mêmes.
« C’est une évolution extrêmement rapide, reconnaît Maria del Mar
Griera, professeure de sociologie de la religion à l’université autonome de
Barcelone, qui y voit plusieurs facteurs. La sécularisation de la société est un processus qui avait commencé au
début du XXe siècle, comme dans le reste de l’Europe, mais qui a été congelé pendant la dictature et
nous rattrapons en quelque sorte ce retard. A ce facteur historique s’ajoute un
facteur générationnel : les couples
en âge de se marier sont nés durant la démocratie et ont reçu une éducation majoritairement
laïque, déconnectée de la religion. S’y
ajoute l’émergence de nouveaux modèles familiaux qui font déjà partie de
l’imaginaire collectif, comme les mariages homosexuels, les familles
monoparentales… »
« Indifférence
des jeunes envers la religion »
Pour Alfonso Perez Agote, professeur de la sociologie de la religion à
l’université Complutense, il faudrait y ajouter un quatrième élément d’explication : « la crise
économique » qui aurait accéléré le processus en limitant les
capacités d’émancipation des jeunes, et finalement de se marier. « Le
vrai sacrement pour les jeunes d’aujourd’hui est le crédit immobilier » ironise le sociologue, qui souligne
que « l’anticléricalisme de la vieille gauche républicaine espagnole
est remplacé par une simple indifférence des jeunes envers la religion ».
Selon le Centre de recherche sociologique, 71 %
des Espagnols se disent certes encore catholiques, mais ils étaient 84 %
en 2000, et à peine 16 % d’entre eux sont pratiquants. Le nombre d’athées a connu parallèlement
une forte croissance, passant de 13 % en 2000 à 24 %
en 2015.
L’image d’une Espagne fortement catholique, véhiculée par les grandes
processions de la Semaine sainte par exemple, relèverait plus du folklore et
d’une « religion populaire » que d’un réel sentiment
d’appartenance religieux, assure M. Perez Agote.
L’ancien pape Benoît XVI s’était déjà inquiété du
phénomène lors de ses trois visites en Espagne, en 2006, 2010 et à
l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse de 2011, venant défendre ce « pays dont le principal signe d’identité historique — de
sa culture et sa façon d’être — est la
profession de la foi chrétienne » contre ce qu’il percevait
comme « une laïcité et un anticléricalisme agressif ». C’était
l’époque du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, de la
libéralisation de l’avortement, du divorce express et du mariage homosexuel.
L’Eglise avait alors tout fait pour éviter de perdre son influence dans la société espagnole, ainsi que ses nombreux
privilèges. Mais sa réaction a sans doute été
« contre-productive », estime Mme Griera. On se souvient de
manifestations auxquelles participaient des évêques contre le mariage
homosexuel ou les cours d’« éducation pour la citoyenneté » qu’ils
percevaient comme une menace aux cours de religion, dont l’enseignement est
garanti dans tous les établissements publics espagnols.
Pour calmer sa colère, le gouvernement socialiste avait augmenté son financement,
en 2009. Chaque année, elle empoche en effet près de 250 millions
d’euros prélevés directement des recettes fiscales de l’Etat grâce à la possibilité
offerte à tous les contribuables de donner, gratuitement, 0,7 % de leurs impôts à l’Eglise (contre 0,5 %
avant 2009). Un tiers des contribuables cochent la « case » de
l’Eglise sur leur déclaration d’impôts.
Plus récemment, l’Eglise, qui contrôle l’essentiel des établissements
scolaires privés sous contrat, ainsi que plusieurs universités et écoles de commerce, a obtenu que la
religion soit une option au baccalauréat. Elle contrôle aussi une radio
importante, la COPe, et une chaîne de télévision, 13TV. Et elle mène un travail
social important par le biais d’organisations comme Caritas. Mais rien ne semble
capable de freiner la sécularisation de la société.
Pis, l’Eglise a perdu son
influence sur la droite espagnole, sur laquelle elle pesait fortement au temps de l’ex-chef du gouvernement
José Maria Aznar. Le Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy a finalement refusé
de revenir sur la libéralisation de l’avortement accordée sous le gouvernement
Zapatero ou sur le mariage homosexuel.
Et à Madrid, l’antenne régionale du PP, menée par une figure de la jeune garde du parti conservateur, Cristina Cifuentes
a même surpris en se positionnant, en 2016, en faveur de la gestation pour autrui, alors que les socialistes et Podemos s’y sont opposés… Le débat
pourrait d’ailleurs être à l’ordre du jour du prochain congrès du PP, le 12 février.
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