19 de octubre de 2016
Pas d’avenir pour les juifs en Europe Occidentale, selon un avocat français
ENTRETIEN
15 octobre 2016, 04:43 2
PARIS – Au pays de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité, les quartiers généraux du judaïsme français,sous sous surveillance militaire permanente. Le splendide immeuble du consistoire, qui date du XIXe siècle, accueille un lourd dispositif de sécurité. Il est encerclé par des barrières en métal, vestiges de l’aéroport israélien de Ben Gurion du début des années 80.
Les visiteurs qui pénètrent dans une section bétonnée de l’immeuble doivent d’abord passer devant un garde, équipé d’une arme automatique, à l’intérieur d’une cabine sécurisée. Il demande aux personnes qui souhaitent entrer de décliner leur identité. Une fois cette première étape passée, les visiteurs arrivent devant de lourdes portes en métal et sont observés via des caméras de surveillance. Ils sonnent et exposent le motif de leur visite. Un bruit informe que la porte est déverrouillée, permettant aux visiteurs de la pousser et d’entrer dans une pièce sombre.
Un à la fois, les visiteurs s’approchent d’un guichet, se présentent, et si leur visite est validée, ils poussent une autre lourde porte. Séquestrés entre deux portes fermées, les visiteurs doivent à nouveau exposer le motif de leur visite. Et là, la sécurité est encore renforcée.
Une voix masculine dissimulée derrière une vitre teintée interroge les visiteurs et demande une présentation des pièces d’identité. Un réceptacle en métal près du sol s’ouvre et réceptionne les effets personnels des visiteurs. Le garde les passe en revue, toujours dissimulé. Une fois que les effets personnels ont été vérifiés, le réceptacle s’ouvre à nouveau pour rendre les affaires à leur propriétaire. Un autre clic se fait entendre, et les visiteurs peuvent enfin entrer.
Que les visiteurs soient attendus pour un rendez-vous, ou qu’ils viennent pour prier, la procédure est la même.
Étant donné le climat en France, ces précautions sont compréhensibles.
A l’inverse de l’architecture spectaculaire et de la sophistication de l’intérieur de la Synagogue de La Victoire, les locaux de noyau du judaïsme français sont assez modestes. Les publications du consistoire et des rafraîchissements casher égayent une salle d’attente tout en sobriété. Un ascenseur d’époque, encerclé par une cage d’escalier vient évoquer les beaux jours du judaïsme français.
Le Consistoire s’investit dans son action, plutôt que dans son apparence. Et le sujet de cette visite est plutôt inquiétant : la violence et les discours haineux à l’encontre des juifs. Charles Baccouche, directeur adjoint du Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme (BNVCA), est en charge du dossier.
Le BNVCA, fondé par Sammy Ghozlan, ancien commissaire de police à la retraire, qui œuvre depuis plus de 15 ans pour combattre l’antisémitisme français et les boycotts contre Israël. Cela inclut notamment les actes de violence portés à l’encontre de rabbins, d’enfants de synagogues et d’écoles juive, qui connaissent une hausse depuis l’an 2000.
En 2014, à titre d’exemple, la communauté juive a enregistré 851 incidents antisémites, parmi lesquels 241 étaient des attaques violentes, soit une hausse importante comparé aux années précédentes (respectivement 423 et 105). Bien que Ghozlan vive désormais à Netanya, il revient régulièrement et entretient des relations étroites avec son équipe, et tout particulièrement avec son bras-droit Baccouche.
C’est Baccouche, qui représente le BNVCA au nom du judaïsme français dans toutes les démarches juridiques. Ses adversaires ne sont pas seulement des terroristes décidés à tuer des juifs, mais également les antisémites français les plus célèbres et les plus bruyants. Parmi eux, Dieudonné, Alain Soral, Jean-Marie Le Pen et Zeon (Fernandez), qu’il poursuit en justice quatre à cinq fois par an.
« La justice est très lente, et ils repoussent sans cesse », dit-il. « Le plus important est de porter plainte auprès du gouvernement français. »
Au cours des trois dernières années, il a porté plainte pour environ 400 actes antisémites, comme il le fait depuis 2009. « A chaque fois qu’il y a un acte antisémite », déclare Baccouche, qui vit près de la Tour Eiffel.
Bien qu’il soit connu en France pour ses travaux juridiques, ses publications et ses discours, il est inconnu en dehors de son pays. Lors d’une rencontre au Consistoire, il a évoqué ses inquiétudes dans une interview exclusive avec le Times of Israel.
Le manque de luminosité du bâtiment donne une indication du futur incertain du judaïsme français. La population juive de la capitale « a peur depuis l’attentat de l’Hyper Cacher », dit-il, évoquant la prise d’otages qui a coûté la vie à Yoav Hattab, Yohan Cohen, Francois-Michel Saada, Philippe Braham.
Ce supermarché, qui continue son activité, est sous surveillance constante de l’armée.
« Même avec les forces de sécurité qui sont déployées, il y a des attentats, » explique Baccouche. « Globalement, les juifs ne sont pas bien en France en ce moment. »
Baccouche, qui a 70 ans, détient la nationalité israélienne. Bien qu’il ait l’intention de faire l’alyah, il ne prévoit pas de retraite dans un futur proche.
« Un jour, je rentrerai à la maison », dit-il. « Je suis juif, mais je suis en guerre, parce que je vais de procès en procès. Je lutte. »
Il dit que l’institution française prétend que les choses ne vont pas si mal, mais pour Baccouche, c’est juste « une façon de se voiler la face. Dire que tout va bien, c’est un sheker pumbi – un mensonge public », dit-il en ponctuant son français d’expression en hébreu. « Mais rien ne va. De manière générale, la situation en France se détériore. »
Baccouche explique que l’expérience globale du public français, qui a vu le terrorisme s’attaquer à tous, sans discernement lors des célébrations du 14 juillet dernier, à Nice, et dans une cathédrale dans le nord, a réveillé la peur du juif aussi.
« Partout où il y a une dégradation, les juifs le vivent plus intensément, parce que c’est ainsi pour les juifs. »
Et bien qu’il n’y a pas de raison pour que la vague de violence s’arrête, elle n’en est pas moins choquante pour les juifs qui ont auparavant joui d’une grande tranquillité en France.
« C’est comme une soupe sans sel », explique Baccouche. « Dans cette métaphore, les juifs sont la soupe. C’est pire. Ils se font exploser. Ils nous tuent. C’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que les juifs sont une cible directe. »
Baccouche évoque une phrase née de la bouche des réfugiés polonais après la guerre : « heureux comme un juif en France ». Ça nous donne une indication de l’état d’esprit de l’époque.
« La France était le pays de la liberté et des droits de l’Homme. Depuis Pétain, les choses ont commencé à se détériorer. De Gaulle est à blâmer pour cela, car il décrivait les juifs comme étant un « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». A partir de là, la situation s’est aggravée.
Afin de lutter contre la violence, Baccouche poursuit en justice les actes violents ainsi que les manifestations antisémites, qui sont interdites en France.
« Nous gagnons toujours, parce que je ne suis pas seul ici. Je suis avocat. Et ces actions sont des crimes. »
Baccouche se considère « responsable du peuple juif, à ma façon. Nous avons tous un rôle à jouer en Eretz Israël, et dans le sort du peuple juif, que nous le voulions ou non. Je suis proche de la retraite, j’ai 70 ans, mais je ne prends pas ma retraite, afin de continuer ce combat. J’aurais pu prendre ma retraite il y a longtemps, mais j’ai décidé de rester travailler aux côtés de Sammy et de sa superbe équipe. »
Pendant qu’il parle, il fait un signe de la main à une jeune femme, qui travaille à temps partiel comme employée administrative au BNVCA. Elisheva Cohen, âgée de 22 ans et mariée, préfère, pour des raisons de sécurité, employer un pseudonyme. Lorsqu’elle doit se rendre dans une administration française, elle opte pour la perruque plutôt que pour son foulard, qui laisserait voir qu’elle est juive pratiquante. Tout comme Baccouche, l’alyah est au programme.
« Le danger est là, que je sois orthodoxe ou non. Même les laïques portent une Magen David, » dit-elle en faisant référence au pendentif flanqué de l’étoile de David. « Tout le monde est en danger. Je ne sens pas le danger, mais je porte une perruque lorsque je me rends dans une administration parce que je sens la différence si je suis en perruque ou en foulard. Même les ‘vrais’ Français me voient comme une juive. »
Baccouche, vice-président honorable du BNVCA, ne porte ni kippa ni d’étoile de David.
« Je mets les tefillin (phylactères) et je vais à la synagogue depuis que je suis jeune, » dit-il.
Lorsqu’on lui demande pourquoi, il répond simplement. « Parce que. Ça n’a rien à voir avec l’antisémitisme. Je me sens juif nord-africain, mais je refuse de dire de quel pays. Ça n’a pas d’importance pour moi. »
« Je ne suis pas prophète, mais il n’y a pas d’avenir pour les juifs en Europe occidentale. Pas seulement à cause de la guerre qui fait rage dans le bassin méditerranéen, mais parce que l’antisémitisme est une valeur intrinsèque au Coran. Je ne pense pas qu’il y ait de futur en France. Arrivera un temps ou tout Israël sera réuni dans notre pays » dit-il.
En dépit de ses prévisions pessimistes au sujet de l’Europe, Baccouche déclare : « nous n’allons pas au-devant de la mort. Nous vivons. De plus en plus de juifs vivent parmi nous. Il y a toujours des interactions avec les non-juifs, mais toutes nos interactions sociales se font entre juifs. Par exemple, ‘Elisheva’ doit enlever son symbole juif. Et c’est dommage. Parce qu’elle ne dérange personne. »
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