Dr. Alice Shalvi,
auteure de l’encyclopédie des femmes juives, est elle-même une sorte d’encyclopédie.
Partageant les récits de ses nombreuses années de lutte pour l’égalité des femmes en Israël, la professeure âgée de 91 ans a pris la parole mercredi soir à l’Institut Shalom Hartman de Jérusalem lors d’une table ronde sur les progrès réalisés et le travail important qui reste à faire.
La session faisait partie de la conférence annuelle d’une journée de l’Institut sur
« L’État juif et le peuple juif » et était centrée sur l’influence de la culture juive américaine en Israël. L’événement a rassemblé près de 500 Israéliens et anglo-américains, des membres de la communauté et des universitaires, des politiciens, des chefs religieux et des étudiants du secondaire pour discuter des problèmes pressants auxquels le peuple juif est confronté.
Vue aérienne lors des discours d’ouverture de la conférence du Shalom Hartman Institute le 14 février 2018 (Netanel Tobias)
Barak Loozon, directeur israélien des initiatives juives et mondiales pour la Fédération juive de San Francisco, et
Rabbi Yehoyada Amir, professeur au Hebrew Union College de Jérusalem, se sont joints au débat.
Merci, l’Amérique
Le débat a été conçu pour mettre en lumière les concepts qui n’ont pas été pleinement acceptés en Israël : la manière dont les idéaux juifs américains du pluralisme, de l’égalitarisme et du féminisme ont influencé et peuvent encore influencer la société israélienne.
Shalvi a expliqué comment elle avait elle-même introduit certaines coutumes égalitaires en Israël et la progression des femmes en adaptant certaines pratiques religieuses, comme le port d’un châle de prière ou la prière dans un office séparé.
Un exemple d’une innovation religieuse féministe est la « zeved » ou « simchat bat », la cérémonie de nomination des filles qui viennent de naître.
Après avoir eu des jumeaux, une fille et un garçon, Shalvi et son mari ont décidé qu’ils allaient organiser une cérémonie pour nommer leur fille après la brit milah de leur fils. Shalvi a dit qu’à l’époque, une telle cérémonie était révolutionnaire.
« C’était la première fois que quelque chose de pareil arrivait », a dit Shalvi. Après cela, il y eut un réveil. Personne n’avait jamais réfléchi au fait qu’il n’y avait pas de cérémonie pour les filles. »
Prof. Alice Shalvi (extrême gauche), estime que les femmes sont la clé pour résoudre les problèmes religieux d’Israël (Netanel Tobias)
Alors que Shalvi se focalisait sur l’influence américaine des mouvements Conservative (Massorti) et Modern Orthodox, le rabbin Amir, originaire de Jérusalem, partageait l’ensemble unique des défis auxquels est confronté le mouvement du Judaïsme réformé en Israël aujourd’hui.
Comparable à la norme aux États-Unis, le mouvement réformé israélien met à jour son livre de prières pour y incorporer un langage plus neutre sur le plan du genre. Comme l’hébreu est une langue de mots sexospécifiques, cela a été un grand défi, a-t-il dit.
« En anglais, c’est facile. Vous pouvez dire ‘Souverain’ au lieu de ‘Roi du Monde’ parce que c’est une langue neutre… en hébreu, c’est soit ‘lui’, soit ‘elle' », dit Amir.
M. Loozon a complété la discussion en parlant des relations entre la diaspora et Israël telles que perçues à travers son expérience avec la communauté juive de San Francisco. M. Loozon a également partagé les enseignements de la Fédération tirés de la publication d’une étude récente qui révèle que la communauté juive de San Francisco est en croissance, mais qu’elle est de moins en moins affiliée.
M. Loozon a déclaré que la compréhension de l’évolution de la communauté permettra à la Fédération de mieux répondre aux besoins actuels de la communauté.
Loozon a travaillé sur une initiative « reverse Birthright » qui a permis aux Israéliens de se rendre dans des communautés juives américaines pour mieux comprendre et apprécier les notions juives-américaines du pluralisme.
Bien que ces voyages, a-t-il dit, aient créé de nouvelles possibilités étonnantes de réunir les communautés, ces dernières années, ils ont permis d’ouvrir des échanges plus sérieux entre les Juifs de la diaspora et les Israéliens.
« Ces dernières années, ces voyages se sont transformés en tables de Shabbat d’une famille qui s’assoit ensemble, en ayant des conversations pas faciles sur ‘Qui sommes-nous ensemble ?' » dit-il.
Selon lui, cela est dû aux préoccupations des Américains au sujet de la politique israélienne, qui s’éloigne des valeurs pluralistes de la communauté juive américaine.
Un groupe de discussion sur l’effet de la culture religieuse juive américaine en Israël (Netanel Tobias)
En effet, l’écart entre le mode de vie et la pensée religieuse d’Israël et de la diaspora a été un sujet populaire ces derniers temps, tant en Israël qu’à l’étranger. Les deux communautés s’efforcent de faire face aux répercussions de l’arbitrage de la vie juive en Israël sous l’impulsion du secteur ultra-orthodoxe.
Des préoccupations particulières entourent la création bloquée d’un espace de prière pluraliste au mur Occidental et les lois juives de conversion en Israël, qui sont toutes deux considérées comme des politiques délégitimisantes par les mouvements réformistes et conservateurs aux États-Unis.
Selon Shalvi, l’autonomisation des femmes dans l’espace religieux peut avoir un impact sur l’emprise de l’ultra-orthodoxie sur la religion en Israël.
Une féministe israélienne pionnière
Dans une interview accordée au Times of Israel après le débat, une énergique Shalvi a abordé les questions et les progrès qu’elle constate aujourd’hui en ce qui concerne le statut des femmes en Israël.
Née en Allemagne de parents orthodoxes, Shalvi a grandi à Londres avant de faire son alyah en 1949, où elle a poursuivi des études de doctorat à l’Université hébraïque, pour finalement rejoindre le Département de littérature anglaise.
En 1950, Shalvi rencontra et épousa son mari, Moshe Shelkowitz (plus tard Shalvi), décédé en 2013. Ils ont eu ensemble six enfants.
L’une des plus grandes réalisations de Shalvi a été la création de l’école de filles « Pelech School for Girls », qu’elle a dirigée de 1975 à 1990. L’école secondaire religieuse expérimentale à Jérusalem est devenue un modèle pour l’éducation des femmes orthodoxes à travers le pays.
La célèbre éducatrice Alice Shalvi a dirigé l’école secondaire Pelech (Spindle). (Shmuel Bar-Am)
Parmi ses nombreux honneurs, Shalvi a reçu le Prix Israël pour l’ensemble de ses réalisations en 2007 (
Israel Prize for Lifetime Achievement), et l’année dernière, le professeur retraité de l’Université hébraïque a reçu le prix Bonei Zion pour l’ensemble de ses réalisations (
Bonei Zion lifetime achievement award), décerné par Nefesh B’Nefesh, pour sa contribution à l’avancement de la condition féminine grâce à son travail d’éducation et de défense des droits.
Pour toutes ses réalisations passées, Shalvi demeure une force présente dans la promotion des intérêts des femmes en Israël.
La professeure Alice Shalvi fait un exposé sur l’histoire du féminisme religieux à l’Institut Shalom Hartman le 14 février,
L’orthodoxie moderne face à la misogynie
La plus grande menace qui pèse sur le monde religieux aujourd’hui est la politisation de l’ultra-orthodoxie, a dit Shalvi.
« Le fait que les institutions religieuses sont aujourd’hui dominées par des ultra-orthodoxes totalement misogynes, je pense que c’est le principal obstacle à une plus grande égalité entre les sexes », a-t-elle dit.
Évoquant ses préoccupations, Mme Shalvi a ajouté : « La question très grave du divorce et du mariage, le fait qu’il n’y ait ni mariage civil ni divorce civil, que tout doit passer par le rabbinat, a certainement un effet très, très négatif sur le fait que les femmes sont considérées comme inférieures ».
« [Parce que les ultra-orthodoxes] ont tant de pouvoir politique, ils ont un impact sur l’ensemble de la population, dont la majorité n’est pas ultra-orthodoxe. Cela devient donc une question politique. »
Juifs ultra-orthodoxes à Beit Shemesh devant une pancarte appelant les femmes à ne pas passer par là, le 26 décembre 2011 (Crédit : Kobi Gideon/Flash90)
Là où Shalvi voit des progrès, c’est dans l’autonomisation des femmes au sein de l’orthodoxie moderne.
« Je pense que la révolution majeure est en train de se produire dans l’orthodoxie moderne où une nouvelle génération, même deux générations de femmes, ont reçu une éducation juive au sens le plus profond du terme, à savoir l’égalité des chances avec les hommes en matière d’éducation. Ce sont elles qui sont en train de vraiment changer la nature même de la société orthodoxe moderne avec une approche différente », a-t-elle dit.
« À bien des égards, cela affecte le statut des femmes au sein de cette communauté. »
L’une des pionnières les plus remarquables, a dit Shalvi, est
Malka Piotrkowsky, une dirigeante de la communauté orthodoxe qui, selon Shalvi, a travaillé discrètement pour changer l’attitude rabbinique envers les femmes de l’ultra-orthodoxie.
Le rabbin Tamar Elad-Appelbaum, la fondatrice de Kehillat Zion, une nouvelle congrégation ouverte à tous dans le quartier Baka de Jérusalem, est une autre femme qui innove : sa devise « Venez comme vous êtes » attire un mélange d’Anglo-Saxons et d’Israéliens, d’Orthodoxes, de Conservateurs, de Réformés, de Sépharades et d’Ashkénazes, a dit Shalvi.
« Ce mélange se reflète aussi dans notre liturgie qui combine de façon merveilleuse les différentes traditions », a dit Shalvi.
« Et c’est une érudite, un leader social. Elle est pour moi un modèle de ce que le judaïsme, le vrai judaïsme, devrait être au sens de « kol Yisrael haverim » (tous les juifs sont des frères) », a dit Shalvi au sujet d’Elad-Appelbaum et de son travail.
Shalvi a également mentionné Kolech, une organisation fondée en 1998 par
Chana Kehat, une voix de premier plan dans le féminisme orthodoxe moderne. L’organisation, a dit Shalvi, a eu un impact énorme en élevant les femmes religieuses et leur niveau d’éducation.
Comme Shalvi l’a fait remarquer, sa propre école de Pelech, qui offre aux filles les mêmes possibilités d’éducation juive qu’aux garçons, a été fondée dans la même veine.
L’essentiel, c’est que les femmes de la communauté [Modern Orthodox] reçoivent maintenant le même diplôme, le même niveau d’éducation juive que les hommes. Le savoir, c’est le pouvoir. Si vous savez de quoi vous parlez, alors ça aide », dit-elle.
Une femme orthodoxe lit le Livre d’Esther pour la fête juive de Pourim dans la synagogue d’Efrat, le 11 mars 2017. (Crédit : Gershon Elinson/Flash90)
Sur son premier contact avec le patriarcat
Alors que Shalvi se dirigeait vers le taxi qui l’attendait à l’extérieur du bâtiment, elle a raconté une dernière histoire sur sa première expérience de discrimination en tant que femme et sur l’impact de cette discrimination sur son travail ultérieur.
Je n’ai remarqué [le sexisme en Israël] que lorsque j’ai vécu ma première véritable expérience de discrimination sexuelle à l’Université hébraïque. J’avais vécu dans la béatitude en ayant l’impression de vivre dans une société égalitaire », a-t-elle dit.
« J’ai compris quand on m’a refusé un poste – je le dis en toute modestie, que j’étais parfaitement adaptée à ce poste – quand tous les hommes à qui je devais présenter ma candidature disaient : « Mais, vous êtes une femme ». Et ce « Mais, vous êtes une femme » était incroyable. J’ai commencé à en parler à d’autres collègues féminines et j’ai découvert que chacune d’entre elles avait été victime de discrimination parce qu’elles étaient une femme », a dit Shalvi.
« Au fait, cela incluait le harcèlement sexuel, mais personne n’en parlait. Personne n’était prêt à prendre la parole, mais nous avons parlé d’autres sujets », a-t-elle dit.
Tous les hommes à qui j’ai dû présenter ma candidature m’ont dit : ‘Mais vous êtes une femme’
C’est à ce moment-là, en sortant tranquillement du bâtiment, que le modérateur Calderon se dirigea vers Shalvi. « Ce n’est peut-être pas très féministe de dire ça, mais tu es si belle ! » dit Calderon.
« Tant que tu dis aux hommes qu’ils sont très beaux, c’est bon », répondit Shalvi en riant.
En effet, alors que les participants continuaient d’affluer vers Shalvi avec un compliment ou une étreinte, le grand respect et l’admiration de Shalvi au sein de la foule étaient évidents.
Entre les salutations et les adieux, Shalvi a conclu son histoire : « En raison des expériences [de discrimination sexuelle], nous avons commencé une sorte de caucus féministe à l’université en 1973 et nous avons commencé à introduire des études féminines et féministes. On s’est heurté à d’énormes moqueries de la part des hommes : « Nous n’avons pas d’études masculines, pourquoi devrions-nous avoir des études féminines ? ».
« J’ai dû leur expliquer que presque toutes les études portaient sur les hommes. Par la suite, le Réseau des femmes israéliennes (
Israel Women’s Network) s’est développé en 1984, fondé principalement par des femmes universitaires. Il est rapidement devenu le principal groupe de défense des droits des femmes en menant une campagne de sensibilisation parce qu’il y avait encore beaucoup de dénégation de l’inégalité », a dit Shalvi.
En luttant contre le contentieux et la législation pendant ses 15 années à la tête de l’organisation, « nous avons été en mesure de changer totalement le statut, le statut juridique, des femmes en Israël, et certainement, c’était un accomplissement », a conclu Shalvi avec une note de satisfaction manifeste avant d’atteindre la porte du taxi.
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