Discours de Georges Deek, vice-ambassadeur d’Israël à Oslo. Traduit de l’anglais par Sr Isabelle Gelain.
(Georges Deek est un Arabe israélien, chrétien orthodoxe)
Quand je me promène dans les rues de ma ville natale, Jaffa, je me souviens de l’année 1948.
Les allées de la Vieille Ville, les maisons du quartier d’Ajami, les filets de pêche au port – tout semble raconter différentes histoires sur l’année qui a changé ma cité d’autrefois.
Une de ces histoires concerne l’une des plus anciennes familles de cette cité – la famille Deek – la mienne.
Avant 1948, mon grand-père George, dont on m’a donné le nom, travaillait comme électricien, dans la Compagnie d’électricité Rotenberg. Il ne s’intéressait pas beaucoup à la politique. Et comme Jaffa était une ville mixte, il avait naturellement des amis juifs.
En fait, ses amis, à la compagnie d’électricité, lui parlaient même en yiddish, faisant de lui le premier Arabe qui ait jamais parlé cette langue.
En 1947, il se fiança à Véra – ma grand-mère, et ensemble, ils firent des plans pour bâtir une famille dans la ville même ou la famille Deek vivait depuis environ 400 ans – Jaffa. Mais quelques mois après, ces plans furent modifiés, littéralement, du jour au lendemain.
Quand l’ONU approuva l’établissement d’Israël, et que l’Etat d’Israël fut créé quelques mois plus tard, les dirigeants arabes avertirent les Arabes que les Juifs étaient en train de se préparer à les tuer s’ils restaient chez eux, et se servirent du massacre de Deir Yassim comme exemple. Ils disaient à chacun « Quittez vos maisons et courez au loin ». Ils disaient qu’il ne leur faudrait que quelques jours, grâce auxquels ils promettaient qu’avec 5 armées, ils détruiraient l’Israël nouveau-né.
Ma famille, horrifiée par ce qui pouvait arriver, décida de s’enfuir, avec beaucoup d’autres. Un prêtre s’était précipité dans la maison de la famille Deek, et se hâta d’y marier George et Véra, mes grands-parents. Ma grand-mère n’eut même pas la moindre chance de mettre des vêtements appropriés. Après ce mariage express, toute la famille fila au nord vers le Liban.
Mais quand la guerre fut terminée, les Arabes n’avaient pas réussi à détruire Israël. Ma famille était de l’autre côté de la frontière. Et il sembla que le destin des frères et sœurs de la famille Deek était de se disperser autour du globe. Aujourd’hui, j’ai de la famille en Jordanie, en Syrie, au Liban, à Dubai, en Angleterre, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, et ailleurs encore.
L’histoire de ma famille n’est qu’une histoire – et probablement pas la pire – parmi toutes les histoires tragiques de l’année 1948.
Et pour être tout à fait franc, vous n’avez pas besoin d’être anti-israélien pour reconnaître la désastreuse humiliation des Palestiniens en 1948, qu’on nomme la Nakba.
Le fait que je skype avec des parents au Canada qui ne parlent pas l’arabe, ou à un cousin dans un pays arabe qui n’a pas encore la citoyenneté du pays, bien qu’il appartienne à la 3e génération – est un témoignage vivant des conséquences de la guerre.
D’après l’ONU, 711 000 Palestiniens ont été déplacés, nous avons déjà entendu cela – les uns ont fui, les autres ont été expulsés de force. Au même moment, à cause de la création d’Israël 800 000 Juifs furent obligés de quitter le monde arabe, le laissant majoritairement vide de Juifs.
Comme nous l’avons déjà entendu, des atrocités ne furent pas rares des deux côtés.
Mais il semble que ce conflit ne fut pas le seul au cours du 19e et du 20e siècle, qui aboutit à des expulsions et à des transferts.
De 1821 à 1922, 5 millions de Musulmans furent expulsés d’Europe, en majorité vers la Turquie. Dans les années 1990, la Yougoslavie explosa, faisant environ 100.000 morts et environ 3 millions de personnes déplacées
De 1919 à 1949, pendant l’opération Visa entre la Pologne et l’Ukraine, 100.000 personnes sont mortes et 1,5 million ont été déplacées. Après la Seconde Guerre mondiale et la convention de Postdam, entre 12 et 17 millions d’Allemands ont été déplacés. A la création de l’Inde et du Pakistan, environ 15 millions de personnes ont été transférées.
Cette tendance existe aussi au Moyen Orient, par exemple le déplacement de 1,1 million de Kurdes par les Ottomans, 2,2 millions de Chrétiens expulsés d’Irak. Et puisque nous parlons aujourd’hui, des Yazidis, Bahai, Kurdes, Chrétiens et même Musulmans sont assassinés, et a raison de 1 000 par mois, expulsés, suivant la progression de l’islam radical. Les chances de l’un ou l’autre de ces groupes de revenir chez eux, est à peu près inexistante.
Alors, pourquoi est-ce ainsi ? Pourquoi les tragédies des Serbes, des Musulmans d’Europe, des refugies Polonais ou des Chrétiens d’Irak ne sont-elles pas commémorées ? Comment le déplacement des Juifs du monde arabe est-il tout à fait oublié, tandis que la tragédie des Palestiniens, la Nakba, est toujours vivante dans la politique actuelle ? Il me semble qu’il en est ainsi, parce que la Nakba a été transformée d’un désastre humanitaire en une offensive politique. La commémoraison de la Nakba n’est plus le souvenir de ce qui est arrivé mais le ressentiment envers seulement l’existence de l’Etat d’Israël.
C’est démontré très clairement dans le choix de la date de commémoraison. La date de la Nakba n’est pas le 9 avril, jour du massacre de Deir Yassin, ni le 13, de l’expulsion de Lod. Le jour de la Nakba a été fixe au 15 mai, le lendemain du jour où Israël a proclamé son Indépendance.
Par cela, le leadership palestinien a déclaré que le désastre de la Nakba n’était pas l’expulsion, les villages abandonnés, ou l’exil – la Nakba à leurs yeux est la création d’Israël. Ils sont affectés moins par la catastrophe humanitaire qui a atteint les Palestiniens, que par la recréation de l’Etat juif. Autrement dit, ils ne souffrent pas du fait que mes cousins sont Jordaniens, ils souffrent du fait que je suis Israélien !
En agissant ainsi, les Palestiniens sont devenus esclaves de leur passé, retenus captifs dans les chaînes du ressentiment, prisonniers d’un monde de frustration et de haine.
Mais, chers amis, la vérité simple est que, pour ne pas être réduits à la tristesse et à l’aigreur, nous devons regarder plus loin. Pour le dire plus clairement, pour effacer le passé, vous avez d’abord à assurer l’avenir. C’est quelque chose que j’ai appris de mon maître, Avraham Nov.
Quand j’avais 7 ans, j’ai fait partie d’une bande de la communauté arabe-chrétienne de Jaffa. C’est là que j’ai rencontré, mon professeur de musique qui m’apprenait à jouer de la flûte et ensuite de la clarinette. Je réussissais bien.
Avraham est un survivant de la Shoah, et toute sa famille a été assassinée par les nazis. Il est le seul qui ait réussi à survivre, parce qu’un officier nazi le trouvait doué pour l’harmonica ; il le prit chez lui pendant la guerre pour distraire ses invités.
A la fin de la guerre, il se retrouva tout seul. Il aurait pu s’asseoir, pleurer et hurler contre ce crime, le plus grand de l’homme contre l’homme dans l’histoire, et sur le fait qu’il restait tout seul. Mais il ne fit rien de tout cela, il regarda devant lui, et non en arrière. Il choisit la vie, et non la mort. L’Espoir, plutôt que le désespoir.
Avraham vint en Israël, se maria, construisit une famille, et commença à enseigner ce qui lui avait sauvé la vie – la musique. Il fut professeur de musique de centaines et de milliers d’enfants dans toute la région, Et quand il vit la tension entre Arabes et Juifs, ce survivant de la Shoah décida d’enseigner l’espoir à travers la musique, à des centaines d’enfants arabes comme moi. Les survivants de la Shoah sont parmi les gens les plus extraordinaires que vous puissiez trouver.
J’ai toujours été curieux de comprendre comment ils étaient capables de survivre, connaissant ce qu’ils avaient connu, sachant ce qu’ils avaient vu.
Mais pendant les 15 ans ou j’ai été son élève, il ne m’a jamais parlé de son passé – excepté une fois – quand je lui ai demandé de me le faire connaître. Ce que j’ai réussi à comprendre, c’est qu’Avraham n’était pas le seul, et que beaucoup de survivants de la Shoah ne parlaient pas de ces années, de l’holocauste, même à leur famille, parfois pendant des dizaines d’années ou même toute leur vie.
Seulement, quand ils ont acquis la certitude que le futur leur permettait de regarder en arrière vers le passé… Seulement quand ils ont construit un temps d’espoir, ils se sont permis à eux-mêmes de rappeler les jours du désespoir.
Ils construisent le futur dans leur ancienne-nouvelle maison, l’Etat d’Israël. Et dans les ombres de cette immense tragédie, les Juifs ont été capables de bâtir un pays qui est en tète du monde pour la médecine, l’agriculture et la technologie.
Pourquoi ? Parce qu’ils regardent en avant.
Mes amis, ceci est une leçon pour tous ceux qui veulent surmonter une tragédie – y compris les Palestiniens. Si les Palestiniens souhaitent racheter leur passé, ils ont besoin de se fixer d’abord sur la sécurité de leur avenir, en construisant un monde tel qu’il doit être, tel que nos enfants méritent qu’il soit.
Et la première étape dans cette direction sans aucun doute est de mettre fin au traitement honteux des refugiés Palestiniens.
Dans le monde arabe, les refugiés palestiniens, y compris leurs enfants, petits-enfants et même arrière-petits-enfants, ne sont pas encore installés, sont agressivement discriminés, et dans bien des cas, on leur refuse la citoyenneté et les droits humains rudimentaux.
Pourquoi mes parents du Canada sont-ils citoyens canadiens, alors que ceux de Syrie, Liban ou des pays du Golfe – qui sont nés là et ne connaissent aucune autre patrie – sont encore considères comme refugiés ?
En clair, ce traitement des Palestiniens dans les pays arabes est la pire oppression qu’ils ont jamais expérimentée. Et ceux qui collaborent à ce crime ne sont rien d’autre que la communauté internationale et l’ONU.
Plutôt que de faire leur travail et d’aider les refugiés à se construire une vie, la communauté internationale alimente le récit de la situation de victime.
Tandis qu’il y a une seule institution en charge de tous les refugiés du monde – l’UNHCR – une autre institution a été créée pour s’occuper uniquement des Palestiniens, l’UNRWA. Ce n’est pas une coïncidence – tandis que le but de l’UNHCR est d’aider les refugiés à se créer une nouvelle vie, à se donner un avenir et à en finir avec le statut de refugiés, le but de l’UNRWA au contraire est de préserver leur statut de refugiés et de les éloigner de la possibilité de commencer une nouvelle vie.
La communauté internationale ne peut pas sérieusement s’abstenir de régler le problème des refugiés, quand il collabore avec le monde arabe en traitant les refugiés comme des pions politiques, en les privant des droits humains élémentaires.
Partout où les refugiés palestiniens ont joui de droits égaux, ils ont prospéré et apporté à leur société, en Amérique du Sud , aux USA et même en Israël.
En fait, Israël est un des rares pays qui a donné automatiquement une pleine citoyenneté et l’égalite pour tous les Palestiniens qui y étaient après 1948.
Et nous voyons bien les résultats, malgré tous les défis, les citoyens arabes d’Israël se construisent un avenir. Les Arabes israéliens sont les Arabes les mieux éduqués au monde, avec les meilleurs niveaux de vie et les meilleures chances dans la région. Des Arabes officient à la Cour Suprême.
Quelques-uns des meilleurs docteurs en Israël sont Arabes, exerçant dans presque tous les hôpitaux du pays. Il y a 13 Arabes membres du Parlement, qui apprécient de pouvoir critiquer le gouvernement – un droit dont ils usent au maximum – protégés par la liberté de parole. Des Arabes gagnent des spectacles de télé-réalité. Vous pouvez même trouver des Arabes diplomates – et l’un d’entre eux est là, devant vous.
Aujourd’hui, quand je me promène dans les rues de Jaffa, je vois les vieux bâtiments et le vieux port. Mais je vois aussi des enfants allant à l’école et à l’Université, je vois des affaires florissantes et je vois une culture vibrante. En bref, malgré le fait que nous avons encore une longue route devant nous en tant que minorité, nous avons un avenir en Israël.
Le moment est venu de mettre un terme à la culture de la haine et de l’excitation – car l’antisémitisme, à mes yeux, est une menace pour les Musulmans et les Chrétiens, autant que pour les Juifs.
Je suis allé en Norvège, il y a tout juste 2 ans, et là, pour la première fois, j’ai eu affaire avec des Juifs en tant que communauté minoritaire, J’ai plutôt l’habitude de les voir comme majoritaires. Et je dois dire, cela paraît vraiment familier.
J’ai grandi dans un environnement semblable, dans la communauté arabe-chrétienne de Jaffa. Je faisais partie des Chrétiens-orthodoxes, qui sont une composante de la communauté chrétienne, elle-même minoritaire chez les Arabes, dans l’Etat juif d’Israël, parmi les Musulmans du Moyen- Orient.
C’est comme ces poupées russes, vous en ouvrez une grande et il y en a une plus petite dedans. Je suis la plus petite . Un Juif en Norvège ou un Arabe en Israël, étant minoritaire, signifie que vous faites toujours partie d’une petite communauté où chacun se soucie de l’autre et aide chacun.
C’est une belle chose de savoir que malgré tout, vous avez toujours une communauté qui s’occupera de vous. Le fait d’appartenir a une communauté minoritaire a été pour moi une bénédiction toute ma vie.
Mais, chers Amis, la vie d’une minorité est aussi une vie de lutte continuelle en vue d’un bon traitement. Parfois, vous êtes discriminés et vous pouvez même être victime de crimes de haine. Même dans une démocratie comme Israël, être une minorité arabe n’est pas toujours facile.
Il y a tout juste un an, un groupe de petites brutes « price-tag » est entré dans le cimetière arabe chrétien à Jaffa, et ils ont profané les tombes en écrivant « mort aux Arabes », et l’une des tombes de ce cimetière était celle de mon père.
Etre minoritaire, mes amis, est un défi partout, parce que, être minoritaire, c’est être différent. Et aucune nation n’a jamais payé un prix plus élevé pour être minoritaire, pour être diffèrent, que le peuple juif. L’histoire du peuple juif a introduit beaucoup de mots dans le vocabulaire humain, des mots comme expulsion, conversion forcée, inquisition, ghetto, pogrom, pour ne pas mentionner le pire, celui de l’holocauste.
Le rabbin Lord Jonathan Sacks explique avec précision que les juifs ont souffert à travers les âges parce qu’ils étaient différents. Parce qu’ils étaient la minorité non-chrétienne d’Europe la plus significative.
Et aujourd’hui la plus significative non-musulmane au Moyen-Orient.
Mais, chers amis, en réalité, ne sommes-nous pas tous différents ? La vérité, c’est que : être diffèrent, c’est ce qui fait de nous de êtres humains. Chaque personne, chaque culture, chaque religion est unique et, par la même, irremplaçable. Et une Europe, un Moyen-Orient qui n’a pas de place pour les Juifs n’a pas de place pour l’humanité.
Mes amis, n’oublions pas : L’antisémitisme peut commencer avec les Juifs, mais ne finit pas avec les Juifs. Les Juifs n’ont pas été les seuls à être convertis de force, sous l’Inquisition. Hitler s’assura que les Tziganes et les homosexuels, entre autres, souffrent comme les Juifs. Et c’est ce qui se passe maintenant de nouveau, en ce moment au Moyen Orient. Le monde arabe semble avoir oublié que ses plus beaux jours durant les 1.400 ans passés ont été l’époque où il a montré tolérance et ouverture envers ceux qui étaient différents.
Le génial mathématicien Ibn Musa el-Khawazmi était Ouzbeque. Le grand philosophe Rumi était Perse. Le glorieux leader Salah a-din était Kurde. Le fondateur du nationalisme arabe était Michel Aflak – un Chrétien. Et celui qui seul apporta la redécouverte arabe de Platon et d’Aristote au reste du monde fut Maimonide – un Juif.
Mais plutôt que de revivre l’approche féconde de la tolérance, la jeunesse arabe est éduquée à haïr les Juifs, à l’aide de la rhétorique antisémite de l’Europe médiévale mêlée a un islamisme radical. Et une fois encore, ce qui a commencé comme de l’hostilité envers les Juifs est devenu hostilité envers tous ceux qui sont différents.
Rien que la semaine dernière, plus de 60.000 Kurdes ont fui de la Syrie vers la Turquie, par peur d’être exterminés. Le même jour, 15 Palestiniens de Gaza se sont noyés dans la mer en essayant d’échapper aux griffes du Hamas. Les Bahai et les Yazidis vivent dans la crainte. Et par-dessus tout, le nettoyage ethnique des Chrétiens du Moyen-Orient est le pire crime contre l’humanité du 21e siècle.
En seulement 2 décennies, les Chrétiens, comme moi ont, été réduits de 20 % de la population du Moyen-Orient à moins de 4 % aujourd’hui. Et quand nous voyons que les principales victimes de la violence islamiste sont des Musulmans, il devient clair pour tous qu’à la fin du jour, la haine détruit celui qui hait.
Ainsi, amis, si nous souhaitons réussir a protéger notre droit à la différence, si nous désirons avoir un avenir dans cette région, je crois que nous devons nous tenir tous ensemble – Juifs, Musulmans et Chrétiens.
Nous devons lutter pour le droit des Chrétiens à vivre leur foi sans peur, avec la même passion que nous apportons à lutter pour le droit des Juifs à vivre sans peur. Nous lutterons contre l’islamophobie, mais nous avons besoin que nos partenaires musulmans se joignent à notre lutte contre la christianophobie et la judéophobie. Parce que la chose en danger est notre humanité commune.
Je sais que cela peut paraitre naïf, mais je crois que c’est possible, et la seule chose qui nous sépare d’un monde plus tolérant est la peur.
Quand le monde change, les gens commencent à avoir peur de ce que l’avenir réserve. Cette peur fait que les gens se réfugient eux-mêmes dans une position passive de victimes, rejetant la réalité, et regardant chacun pour le blâmer de mettre en question tout cela. C’est vrai aujourd’hui comme c’était vrai en 1948.
Le monde arabe peut surmonter cette erreur, mais cela demande le courage de penser et d’agir différemment. Ce changement demande que les Arabes comprennent qu’ils ne sont pas des victimes sans aide. Cela leur demande de s’ouvrir à l’autocritique et de se sentir eux-mêmes responsables.
Jusqu’à ce jour, il n’y a pas un seul livre dans le monde arabe qui ne mette en question la faute historique d’avoir rejeté la création de l’Etat d’Israël. Aucun Arabe cultive ne s’est présenté pour dire que si les Arabes avaient accepté l’idée d’un état juif, il y aurait eu 2 états, il n’y aurait pas eu de guerre, et il n’y aurait pas eu de problèmes de refugiés.
Je vois des Israéliens, comme Benny Morris qui est avec nous aujourd’hui, qui essaient de défier les discours de leurs chefs en Israël, prenant personnellement des risques dans la quête d’une vérité qui n’est pas toujours confortable pour le peuple.
Mais je n’arrive pas à lui trouver d’équivalent chez les Arabes. Je n’arrive pas à avoir un débat remettant en cause la conduite du Mufti de Jérusalem Hadj Amin el-Hussaini, ou bien de la guerre superfétatoire menée par la ligue arabe en 1948, ou des autres guerres contre Israël, dans les années qui ont suivi jusqu’à maintenant, je n’arrive pas à trouver une autocritique dans le courant principal actuel sur l’usage du terrorisme, sur la lancée de la Seconde Intifada et le rejet d’au moins deux offres Israéliennes dans les 15 dernières années pour mettre fin au conflit.
La réflexion sur soi-même n’est pas une preuve de faiblesse, c’est un signe de force. Cela renforce notre capacité à surmonter la peur et faire face à la réalité. Cela nous demande d’examiner sincèrement nos décisions et de prendre nos responsabilités à leur égard.
Ce sont seulement les Arabes eux-mêmes qui peuvent changer leur réalité. En cessant de s’apitoyer sur des théories de conspiration et de blâmer des pouvoirs extérieurs – Amérique, Juifs, l’Ouest ou ailleurs – pour tous les problèmes. En apprenant à partir des fautes du passé en prenant des décisions plus sages à l’avenir.
Il y a 2 jours, le président américain Obama se tenait sur le podium de l’ONU et, face à l’assemblée, il a dit :
« Le devoir de rejeter le sectarisme et l’extrémisme est un devoir de génération – un devoir pour les peuples du Moyen-Orient eux-mêmes. Aucun pouvoir extérieur ne peut apporter la transformation des cœurs et des esprits. »
Plus tard, j’ai lu un article très intéressant de Lord Sacks sur la rivalité des frères dans la Bible. Il y a 4 histoires de frères rivaux dans le livre de la Genèse, Cain et Abel, Isaac et Ismaël, Jacob et Esaü, Joseph et ses frères. Chaque histoire a une fin différente :
Pour Cain et Abel, Abel meurt. Pour Isaac et Ismaël, ils se tiennent tous deux ensemble aux funérailles de leur père. Pour Esaü et Jacob, ils se rencontrent, s’embrassent et vont chacun leur chemin.
Mais le cas de Joseph se termine différemment. Pour ceux qui ne sont pas très au courant de cette histoire, Joseph était le 11e des 12 fils de Jacob. A un certain moment par jalousie, ses frères décident de le mettre en esclavage. Cependant après un certain temps, Joseph s’éleva jusqu’à devenir le second plus puissant homme d’Egypte, a côté de Pharaon. Quand une famine sévit en Canaan, Jacob, le père de Joseph ainsi que ses frères vinrent en Egypte. Et là, au lieu de les punir pour ce qu’ils lui avaient fait, Joseph décida de pardonner à ses frères.
C’est le premier événement de pardon rapporté dans la littérature. Joseph pourvoit à tous les besoins de ses frères. Ils prospèrent, ils croissent et deviennent une grande nation.
A la fin de l’histoire, Joseph dit à ses frères « Vous avez essayé de me nuire, mais Dieu a changé cela en bien, pour accomplir ce qui se fait maintenant, le salut de vies humaines ». Par cela il signifiait que, par nos actes actuels, nous pouvons préparer le futur et ainsi racheter le passé.
Juifs et Palestiniens, nous pouvons ne pas être frères dans la foi, mais nous pouvons être frères de destin, Et je crois qu’exactement comme dans cette histoire de Joseph, en faisant des choix justes, en choisissant de nous focaliser sur le futur, nous pouvons racheter notre passé. Les ennemis d’hier peuvent être les amis de demain. C’est arrivé entre les Israéliens et les Allemands, Israël et l’Egypte, Israël et la Jordanie.
Il est temps de commencer à laisser passer un rayon d’espoir dans les relations entre les Israéliens et les Palestiniens, afin que nous puissions mettre une fin à la répétition des griefs, et nous fixer sur notre avenir et les exaltantes possibilités que cela nous apporte à tous, si nous osons le faire.
Je n’ai pas encore raconté la fin de l’histoire de ma famille en 1948. Après un long voyage vers le Liban, la plupart du temps à pied, mes grands-parents, George et Vera atteignirent le Liban. Ils y restent plusieurs mois. Ma grand-mère donne alors naissance à son premier fils, mon oncle Sami.
Quand la guerre prit fin, ils se rendirent compte qu’ils avaient été trompés. Les Arabes n’avaient pas gagné, comme promis. Et en même temps, les Juifs ne tuaient pas tous les Arabes, comme on leur avait dit que cela arriverait.
Mon grand-père regarda autour de lui et ne vit rien qu’une impasse dans sa vie de refugié. Il regarda sa jeune femme Vera, à peine âgée de 18 ans, et son fils nouveau-né, et il sut que, coincé dans un coin de son passé sans capacité de regarder en avant, il n’y avait pas d’avenir pour sa famille.
Tandis que ses frères et sœurs voyaient leur avenir au Liban et dans d’autres pays arabes et occidentaux, il prit une décision différente. Il désirait rentrer à Jaffa, sa ville natale. Comme il avait travaillé avec des Juifs auparavant et qu’il s’entendait bien avec eux il n’avait pas subi le lavage de cerveau de la haine. Mon grand-père George fit ce que peu d’autres avaient osé – il se joignit à ceux que sa communauté voyait comme leurs ennemis. Il fut soutenu par un de ses anciens amis de la compagnie d’électricité et demanda son aide pour rentrer.
Et cet ami dont j’ai entendu parler par les récits de mon père et dont je n’ai jamais su le nom, non seulement fut capable et décidé à aider mon grand-père à rentrer, mais par un extraordinaire geste de générosité, il l’aida même a retrouver son ancienne place de travail dans ce qui était devenu la compagnie israélienne d’électricité. Ce qui fit de lui l’un des quelques Arabes travaillant là-bas.
Aujourd’hui, parmi mes frères, sœurs et cousins, nous avons des comptables, des professeurs, des agents d’assurance, des ingénieurs Hi-Tech, des diplomates, des directeurs d’usine, des professeurs d’Université, des docteurs, des avocats, des ingénieurs-conseils, des responsables de compagnies israéliennes haut niveau, des architectes et même des électriciens.
La raison pour laquelle ma famille a réussi dans la vie, la raison pour laquelle je me trouve devant vous comme diplomate d’Israël, et non comme un refugié palestinien du Liban – c’est parce que mon grand-père a eu le courage de prendre une décision impensable pour les autres. Plutôt que de se laisser aller au désespoir, il sut trouver l’espérance là où personne n’osait la chercher. Il choisit de vivre parmi ceux qui étaient considérés comme des ennemis, et d’en faire ses amis.
Pour cela, moi-même et ma famille lui vouons ainsi qu’à ma grand-mère, une éternelle reconnaissance.
L’histoire de la famille Deek pourrait être une source d’inspiration pour le peuple palestinien.
Nous ne pouvons pas modifier le passé. Mais nous pouvons nous construire un avenir pour les prochaines générations, si nous voulons réparer le passé un jour. Nous pouvons aider les refugiés à avoir une vie normale. Nous pouvons être honnêtes sur notre passé et apprendre de nos fautes. Nous pouvons nous unir – Musulmans, Juifs, Chrétiens – pour protéger notre droit à la différence et, en cela, protéger notre humanité.
En fait, nous ne pouvons pas changer le passé, mais si nous faisons tout cela, nous allons changer l’avenir.
Je vous remercie.
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