13 de agosto de 2018

Un ouvrage dévoile les choix – parfois surprenants – du Mossad


Un ouvrage dévoile les choix – parfois surprenants – du Mossad

L'étude de Ronen Bergman sur des décennies d'assassinats ciblés d'Israël est remplie de révélations, plutôt déconcertantes. En voici quelques-unes

Le chef de l'OLP, Yasser Arafat, à Keffiyah, photographié par un tireur d'élite israélien, quittant Beyrouth en 1982 (Crédit : Autorisation d'Oded Shamir)
Le chef de l'OLP, Yasser Arafat, à Keffiyah, photographié par un tireur d'élite israélien, quittant Beyrouth en 1982 (Crédit : Autorisation d'Oded Shamir)
Rise and Kill First de Ronen Bergman, une chronique de 630 pages sur les « assassinats ciblés » autorisés par Israël, de l’époque pré-étatique et pendant les 70 ans de l’Etat d’Israël, est remplie de révélations et d’affirmations souvent stupéfiantes.
L’auteur, qui dit avoir mené près de 1 000 interviews, a eu accès et a examiné d’innombrables caisses de documents inédits. Il a confié qu’il a travaillé sur le livre pendant huit ans et a accepté de revenir sur certaines des révélations les plus spectaculaires dans une interview de deux heures avec le Times of Israel.
Certaines de ses découvertes apportent un éclairage nouveau sur des épisodes historiques que l’on connaît bien. D’autres s’aventurent dans un territoire jusque-là inconnu.
Le 23 juillet 1962, les agents du Mossad Rafi Eitan et Zvi Aharoni ont observé le médecin d’Auschwitz, Josef Mengele, qui était en train de quitter sa ferme à Sao Paulo, au Brésil, avec quelques gardes du corps. Ils avaient planifié son kidnapping pour le ramener en Israël pour subir un procès, à la manière de celui d’Eichmann. Mais leur surveillance a coïncidé avec l’essai mené par le président égyptien Nasser des missiles qu’il développait secrètement, a expliqué Bergman, « et ils ont été rappelés au Moyen-Orient ».Le Mossad a eu Mengele dans son viseur en 1962, mais « a choisi de le laisser »
Un an plus tard, le chef du Mossad Isser Harel a quitté son poste et, depuis 1977, Bergman a précisé que « tous les chefs du Mossad et tous les Premiers ministres israéliens ont fait des criminels de guerre nazis la priorité la plus basse ». Donc l’idée que pendant ces années cruciales, le Mossad était à la recherche de criminels de guerre nazis, est tout simplement fausse, a déclaré Bergman, comme le prouve les documents qu’il a examinés. « De manière générale, les services secrets israéliens n’ont pas recherché les criminels de guerre nazis ».
Le docteur nazi Josef Mengele (Crédit : Wikimedia Commons)
Il y a eu une exception — Herberts Cukurs — un criminel de guerre letton qui a été tué au Paraguay, a-t-il expliqué, « mais c’était une exception pour quelques raisons personnelles : il avait tué des membres de la famille (du chef des renseignements militaires) Aharon Yariv et (du successeur de Harel) Meir Amit était un ami proche de Yariv … Cukurs avait brûlé une grande partie de sa famille, donc c’était en quelque sorte, vous savez, faire quelque chose pour un ami. »
Bergman a indiqué que les chefs du Mossad avaient rappelé à la maison un agent qui avait retrouvé Mengele, en 1968, « parce qu’ils avaient peur qu’il ne mène une opération seul ».
Rise and Kill First, par Ronen Bergman

Tout cela n’a changé qu’en 1977, lorsque Menachem Begin est devenu premier ministre. Begin, a déclaré Bergman, et qu’il « a édicté une décision secrète pour le Cabinet de sécurité, que le Mossad traquera au moins (Martin) Bormann (qui était mort depuis 1945) et Mengele, mais il était déjà trop tard. Au moment où ils se sont regroupés et ont commencé à se pencher là-dessus, Mengele était déjà mort. Ils allaient poursuivre son fantôme pendant encore 10 ans. »
Il aurait été plus simple pour Israël de reproduire avec Mengele ce qu’il avait fait avec Eichmann dans les années 1960, a-t-il réitéré. « Au moins par deux fois ils étaient sur lui, et ils ont choisi de le laisser … Meir Amit me l’a dit très ouvertement : je préfère faire face aux menaces du présent que les fantômes du passé. Et il était clair que ces Nazis ne représentaient aucune menace. »
Le mythe de Munich
L’idée largement répandue qu’Israël a traqué et tué tous les terroristes palestiniens responsables du massacre des athlètes israéliens aux Jeux Olympiques de Munich en 1972 est « un mythe », a affirmé Bergman.
« Vous savez, le film de Spielberg, Munich ? Comme si Golda Meir avait appelé quelqu’un du Mossad et avait dit : tuez-les tous, et mettez en place un tribunal secret, où vous avez un juge, comme si vous étiez en train de suivre la procédure. En fait, rien de tout cela n’est arrivé. C’était faux à 100 %. »
« L’attaque terroriste des Jeux olympiques de Munich a changé beaucoup de choses, mais pas ce à quoi nous pensons », a-t-il ajouté. « Ce n’est pas [le fait] que Golda Meir a donné l’ordre de trouver tous ces gens impliqués dans ce qui s’est passé à Munich. » Bergman est allé jusqu’à dire : « Les gens qui ont été tués n’avaient aucun lien avec Munich. »
Au contraire, a-t-il affirmé, beaucoup des personnes responsables de Munich — dont Amin al-Hindi, Mohammed Oudeh et Adnan Al-Gashey — sont mortes de façon banale.
La seule chose que Munich a changé pour la Première ministre Meir, a-t-il précisé, c’est que « jusqu’à Munich, elle n’avait pas laissé le Mossad tuer des gens en Europe. Après Munich, elle les a laissés faire. »
Des robinets ou comment les assassins de Lillehammer ont été exposés
En 1973, à Lillehammer, en Norvège, le Mossad a tué par erreur un innocent serveur marocain et un nettoyeur de piscine qu’ils avaient pris pour Ali Hassan Salameh, le chef des opérations du Septembre noir palestinien.
La plupart des agents impliqués ont réussi à s’échapper, mais certains ont été attrapés. Le livre de Bergman révèle comment.
« Maintenant, je comprends ce qui s’est passé là-bas », a-t-il expliqué durant notre interview. « Le Mossad savait que quelqu’un avait noté la plaque d’immatriculation de l’une des voitures utilisées par les assassins. Donc un agent « — Dan Arbel — a été chargé d’abandonner la voiture, de prendre un train pour Oslo et de sortir du pays en avion. Mais cet agent avait acheté des robinets (et d’autres articles) pour sa nouvelle maison en Israël, et ne voulait pas les prendre avec lui dans le train (parce qu’ils étaient lourds) … Il s’est dit : je vais louer une voiture jusqu’à Oslo, la rendre à la compagnie de location (là-bas) et prendre l’avion. Quelle différence cela pourrait avoir ? ».
Eh bien, poursuit Bergman, « cela a fait toute la différence, parce que la police l’attendait à la compagnie de location. Ils l’ont arrêté. Il était claustrophobe et il a tout révélé pendant l’enquête et a fait tomber tout le réseau. »
Dentifrice toxique
Le Mossad a tué Wadie Haddad, le chef du groupe terroriste du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui a orchestré la prise d’otages d’Entebbe en 1976 en empoisonnant son dentifrice.
Le Mossad a pu « se rapprocher de très, très, très près de Haddad » et a échangé son dentifrice pour un tube identique « contenant une toxine létale, qui avait été développé après un effort intense à l’Institut israélien de recherche biologique, à Ness Ziona. » écrit Bergman.
« Chaque fois qu’Haddad se brossait les dents, une infime quantité de cette toxine mortelle pénétrait dans les muqueuses de sa bouche et pénétrait dans sa circulation sanguine « — atteignant progressivement la masse critique. »
Wadie Haddad
Haddad est mort dans un hôpital en Allemagne de l’Est en 1978. « Les histoires de ses cris dans cet hôpital contrôlé par la Stasi à Berlin se sont répandues partout », a déclaré Bergman.
« La Stasi a envoyé des rapports aux services secrets irakiens, en leur disant : ‘vous devriez faire attention à vos scientifiques et à leur dentifrice’, car ils soupçonnaient que le dentifrice avait été empoisonné. Et à partir de ce moment-là, les services des renseignements irakiens ont ordonné aux scientifiques irakiens, qui travaillaient sur leur bombe, de transporter leur dentifrice et leur brosse à dents dans un sac avec eux. Ils portaient partout leur dentifrice, chaque fois qu’ils quittaient l’Irak et quand bien même, deux d’entre eux ont quand même été empoisonnés. »
L’obsession de Sharon pour tuer Arafat a atteint des hauteurs glaciales
Durant notre interview, Bergman nous a confiés :  « ce n’est pas dans le livre, mais Ehud Barak m’a raconté que quand Ariel Sharon a été nommé ministre de la Défense en septembre 1981, il a rassemblé l’état-major général et a dit à Raful (Eitan) : ‘Dites-moi, comment se fait-il qu’Arafat soit toujours vivant ?’ ».
Barak, qui était à l’époque chef de la division de la planification de Tsahal, a expliqué qu’il avait présenté un plan sur la manière de tuer Arafat dix ans plus tôt, mais qu’il avait été rejeté parce qu’Arafat était considéré comme une personnalité politique. « Eh bien, à partir de maintenant, je change l’ordre et je ramène Arafat au sommet de la liste des personnes à assassiner », aurait répliqué Sharon.
Une force appelée ‘Dag Maluah’ a alors été mise en place et a d’abord tenté de tuer le chef de l’OLP pendant le siège de Beyrouth. Mais ce plan a été stoppé par Uzi Dayan, l’officier tactique en chef de Dag Maluah, qui craignait que des civils soient tués lors d’une telle attaque.
Yasser Arafat (Crédit : Thomas Coex/AFP)
Un tireur d’élite israélien avait alors Arafat en vue, et a pris des photos, lorsque le chef de l’OLP a été évacué de Beyrouth en août 1982, mais Begin avait promis aux Américains de ne pas le tuer. « Ces photos ont été données à (l’envoyé américain) Philip Habib pour montrer que Begin a tenu sa promesse », a déclaré Bergman.
Après cela, a continué Bergman, Sharon a donné l’ordre de cibler Arafat dans un avion. « il volait parfois dans des vols privés, parfois commerciaux ». Il y avait même un plan pour mener une telle attaque « au-dessus la mer Méditerranée, de sorte que la carcasse [de l’avion] ne puisse pas être sauvée et que l’on ne puisse pas retrouver la boîte noire », a-t-il expliqué.
« Ils ont examiné les vols civils et privés », a déclaré Bergman, et Sharon, selon ses sources, « ne se souciait pas de savoir si c’était privé ou civil. »
Il a souligné que le secrétaire militaire de Sharon insistait sur le fait que tous les avions qu’ils visaient étaient potentiellement des vols privés. Mais « nous avons trois autres personnes qui expliquaient que (la planification) comprenait des vols civils. Encore une fois, même si c’est un avion privé, cela signifierait non seulement tuer Arafat, mais aussi beaucoup d’autres personnes sur le vol. »
Bergman a déclaré que l’une de ses sources lui avait dit : « vous savez, j’attendais depuis 30 ans que quelqu’un vienne me poser des questions à ce sujet. » Cette source « s’est levé, est allé de l’autre côté de la pièce, a ouvert le coffre et a sorti un dossier. Avec les chiffres, le matériel pertinent » concernant « l’un des vols qui a été ciblé. »
Selon Bergman, une telle attaque n’a pas eu lieu que parce qu’ « il y avait un groupe d’officiers héroïques » qui l’ont empêché. Ils « ont perturbé les systèmes pour que cela n’arrive pas ».
Le pilote qui aurait mené l’attaque, a ajouté Bergman — et qui est aujourd’hui « une personnalité très en vue » — lui a confié qu’il espérait qu’il n’aurait pas à obéir aux ordres.
Sharon a-t-il finalement tué Arafat, qui est mort d’une maladie mystérieuse en 2004 ? Dans le livre, Bergman note que s’il connaissait la réponse, il ne pourrait pas l’écrire. Le censeur militaire « m’interdit de discuter de ce sujet ». Mais il cite Sharon en disant « Laissez-moi faire les choses à ma façon ». Il observe que « le moment de la mort d’Arafat (en novembre 2004) était assez particulier. Et il affirme que « l’on peut dire avec certitude que Sharon voulait se débarrasser d’Arafat, qu’il voyait comme une « bête à deux pattes ».
Former prime minister Ariel Sharon (photo credit: Sharon Perry/Flash90/File)
Ariel Sharon (Crédit : Sharon Perry/Flash90/File)
Dans notre interview, Bergman a rappelé que le chef du Mossad, Meir Dagan, avait déclaré quelque chose de la sorte : si les Juifs avaient été assassinés et que Sharon savait qui était l’auteur, il ne pouvait pas laisser passer cela. Et Uri Dan, le biographe de Sharon, avait tenu un discours similaire en affirmant que Sharon entrera dans l’Histoire comme la personne « qui a éliminé Arafat sans le tuer réellement ».
Des tueries ciblées ont stoppé la deuxième Intifada
Le recours à des assassinats ciblés par les renseignements a été le facteur clé de la répression de la vague des attaques stratégiques des kamikazes pendant la seconde Intifada, écrit Bergman.
Le Hamas s’est vanté d’avoir plus de volontaires que de ceintures explosives, a-t-il noté dans notre interview. La politique était donc de « tuer les gens au-dessus des poseurs de bombes » dans la hiérarchie des groupes terroristes.
« Et il est devenu évident que dans toutes les organisations combinées — le Hamas, le Fatah, le Tanzim, et ainsi de suite — il y avait un total de quelque 700 personnes … Et ils ont conclu qu’il n’était pas nécessaire de tuer tout le monde à ce niveau, il suffisait d’en tuer ou blesser 25 % pour paralyser l’organisation. »
Sharon, dit-il, a accepté les recommandations du Shin Bet, de commencer les assassinats ciblés. Et Avi Dichter, à la tête du Shin Bet de 2000 et 2005, avait été dépêché aux États-Unis pour l’expliquer aux chefs du renseignement américains. Au final, explique Bergman, Sharon et le président George W. bush « ont réussi à conclure un accord secret permettant à Israël de continuer sa politique super-agressive contre le terrorisme tant que Sharon honorait sa promesse de geler les implantations. C’est ce qui s’est passé ».
Toutes ces mesures ont aidé à réprimer la Seconde Intifada, notamment en envoyant des soldats dans les zones urbaines en Cisjordanie lors de l’opération Rempart.
« Mais le facteur principal était les assassinats ciblés, qui a vaincu quelque chose que tout le monde pensait invincible – comment empêcher une personne qui veut mourir de s’équiper d’une ceinture d’explosifs et d’aller se faire sauter dans un centre commercial ou dans une école maternelle ? »
Un garçon palestinien sur son vélo passant devant une fresque dépeignant des graffitis (de gauche à droite) du fondateur du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) Georges Habache, le chef spirituel du Hamas, le cheikh Ahmed Yassine et le dirigeant palestinien défunt Yasser Arafat, le 21 novembre 2014 dans la ville de Gaza (Crédit : AFP / MOHAMMED ABED)
« On ne peut pas. (Mais les assassinats ciblés) ont mis fin aux attentats suicides. À leur apogée, ils ont tué le Sheikh Yassine (en mars 2004) et puis (trois) semaines plus tard, (son successeur Abdel Aziz) Rantisi. Le Hamas en est arrivé à la conclusion qu’il n’était pas en mesure de continuer, et, par le biais des Égyptiens, ont supplié d’instaurer un cessez-le-feu. »
Le Hamas est resté une menace de premier ordre pour Israël. Et après l’assassinat de Yassin, le groupe terroriste a créé des liens avec l’Iran, ce que Yassine interdisait. Selon Bergman, c’est ainsi que l’on change le cours de l’histoire en tuant des dirigeants, mais souvent pas de la façon dont on l’anticipe.
Et pourtant, dit-il, « ce qui s’est passé prouve que même une organisation djihadiste terroriste, qui semble n’avoir aucune limite, peut être amenée à fléchir quand ses dirigeants deviennent le prix à payer. »
Ronen Bergman (Autorisation)


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