21 de febrero de 2018

Morawiecki dénature l’Histoire en parlant de rôle des Juifs à la Shoah – experts



Morawiecki dénature l’Histoire en parlant de rôle des Juifs à la Shoah – experts

Des collaborateurs juifs ont en effet contribué à la chute de leurs coreligionnaires victimes de la Shoah. Ils l'ont fait sous la menace immédiate de mort, nuancent des historiens

Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki lors d'une conférence de presse avec le Chancelier allemand le 16 février 2018 à la Chancellerie de Berlin. (Crédit : AFP Photo/John MacDougall)
Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki lors d'une conférence de presse avec le Chancelier allemand le 16 février 2018 à la Chancellerie de Berlin. (Crédit : AFP Photo/John MacDougall)
JTA — La querelle entre la Pologne et Israël au sujet de la Shoah a atteint son paroxysme cette semaine après que le Premier ministre polonais a déclaré que le génocide n’avait pas seulement été le fait d’auteurs polonais, ukrainiens et allemands, mais également d’auteurs juifs.
Evoquant une nouvelle loi qui pénalise la mise en cause de la Pologne dans les crimes nazis, Mateusz Morawiecki avait déclaré samedi dans une interview que les effets de la loi ne seraient pas aussi larges que les critiques l’estiment a priori.
Si cette déclaration avait pour objectif d’apaiser les critiques de la loi – parmi lesquels des groupes juifs internationaux et le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui a qualifié la loi de « sans fondement » lors d’une réprimande rare envers un pays allié de l’Etat juif – alors Morawiecki a spectaculairement échoué.« Il n’y aura pas de sanctions, [il] ne sera pas considéré comme criminel de dire qu’il y a eu des coupables polonais, comme il y a eu des coupables juifs, comme il y a eu des coupables russes, comme il y a eu des coupables ukrainiens, et pas seulement allemands », avait-il expliqué.
Renforçant encore sa rhétorique, Netanyahu a qualifié ces propos de « scandaleux ». « Il y a un problème d’incapacité ici à comprendre l’histoire et un manque de sensibilité envers la tragédie vécue par notre peuple », a commenté le leader israélien.
Un autre responsable de l’Etat juif, le président Reuven Rivlin, a pour sa part exprimé son profond mépris. « Dire que des Juifs ont collaboré avec les nazis, c’est toucher le fond », a-t-il déclaré.
Jonny Daniels, un influent militant de la commémoration de la Shoah en Pologne et qui se trouve être un ami de Morawiecki, a expliqué qu’il considérait ces propos comme une forme de négationnisme.
Des rescapés de la Shoah manifestent à l’ambassade de Pologne à Tel-Aviv, le 8 février 2018. (Capture d’écran Twitter)
Ce qu’a dit Morawiecki est techniquement parlant exact, mais historiquement parlant injuste au vu de la nature spécifique des persécutions commises contre les Juifs par les nazis, selon des spécialistes qui ont étudié des douzaines de documents d’accusation visant des collaborateurs des nazis et qui ont été soumis en Israël.
Au sein de l’Etat juif et jusqu’en 1972, des douzaines d’inculpations ont mené aux procès de collaborateurs juifs présumés qui avaient travaillé avec les nazis, a dit Rivka Brot, qui travaille au centre du droit Juif et démocratique à l’université de Bar-Ilan.
Brot a rédigé sa thèse sur les poursuites judiciaires intentées contre les collaborateurs juifs des nazis devant des tribunaux juifs qui avaient été établis dans des camps de transit en Europe après la Seconde Guerre mondiale et, plus tard, dans l’Etat d’Israël.
Aucun de ces procès n’aura été sanctionné par une peine plus longue que 18 mois de prison.
Même avant la fondation d’Israël, des douzaines de tribunaux communautaires officieux avaient été mis en place pour gérer des centaines de plaintes visant des collaborateurs juifs des nazis dans les camps pour personnes déplacées en Europe, a souligné Brot.
Manquant d’une capacité juridique contraignante, ces tribunaux ne pouvaient que prononcer des condamnations symboliques qui signifiaient l’excommunication de la personne dont la culpabilité avait été reconnue.
La police juive détient un ancien Kapo, reconnu dans la rue, du camp de déportés Zeilsheim en Allemagne (US Holocaust Memorial Museum, autorisation de Alice Lev)
Selon Brot, l’élément offensant dans les propos de Morawiecki n’est pas qu’il ait mentionné les Juifs qui ont collaboré avec les Allemands, mais qu’il les ait placés au même niveau que les collaborateurs polonais.
« Toute comparaison entre des collaborateurs juifs et polonais est fausse », a-t-elle précisé.
« Les prisonniers juifs qui ont collaboré l’ont fait sous une menace immédiate de mort ».
Les Polonais, a continué Brot, ont beaucoup souffert sous les nazis, « mais la majorité d’entre eux n’ont pas été confrontés aux mêmes situations que les Juifs qui étaient destinés à l’extermination ».
Parmi les collaborateurs juifs, il fallait compter les « kapos » et autres fonctionnaires appartenant aux structures de hiérarchie interne imposées aux Juifs par les nazis dans les camps et dans les ghettos, a expliqué Brot.
De plus, certains juifs ont aidé les nazis à retrouver des coreligionnaires vivant dans la clandestinité en échange de leur liberté ou de leur survie ou de celles de leurs proches.
Les Juifs ayant collaboré à l’intérieur des camps et des ghettos ont souvent affirmé pour se défendre qu’ils l’avaient fait non pour améliorer leur situation, mais bien pour améliorer celle des autres Juifs.
Eliezer Gribaum, un kapo juif polonais accusé d’avoir frappé sans pitié les détenus du camp de Birkenau et qui avait été ultérieurement tué au cours de la guerre d’Indépendance israélienne, avait dit qu’il avait accepté ce poste à la demande des autres Juifs qui avaient besoin de protection face à un kapo non-juif et antisémite, un criminel allemand.
Seize des dix-neuf accusés en procès pour crimes de guerre commis durant la guerre à Dora-Mittelbau. Parmi le groupe, quatre Kapos. 17 septembre 1947, Dachau, Allemagne ( Holocaust Memorial Museum américain, Autorisation de la National Archives and Records Administration, College Park)
Le cas de Juifs restés à l’extérieur des camps ou des ghettos en aidant les nazis à pourchasser d’autres Juifs paraît encore plus obscur.
Parmi eux, on note le cas de Stella Kubler, qui a commencé à traquer les Juifs pour les nazis pour empêcher la déportation de ses parents et qui est restée à leur service jusqu’à la fin de la guerre. Kubler et d’autres Juifs chasseurs de Juifs avaient obtenu des papiers spéciaux de la Gestapo et même des armes. Certains recevaient une prime en liquide de 200 marks pour chaque Juif livré.
Certains d’entre eux, notamment Rolf Isaaksohn, ont livré leurs propres parents aux nazis – un oncle, dans le cas d’Isaaksohn, selon un article paru en 1992 dans le journal Der Spiegel consacré à ce sujet.
Kubler a été jugée à deux occasions pour ses actions qui avaient entraîné le meurtre de douzaines de personnes : Une première fois par un tribunal soviétique qui l’avait condamnée à 10 ans d’emprisonnement, puis une deuxième devant des magistrats d’Allemagne de l’ouest, qui l’avaient reconnue coupable sans pour autant lui donner une peine de prison supplémentaire. Elle s’exprimait avec haine sur les Juifs et, jusqu’à sa mort, elle est restée connue parmi les éditeurs de littérature antisémite.
Les membres des Judenrats, ces conseils juifs établis dans les ghettos qui endossaient une responsabilité vis-à-vis des Allemands – ont constitué une autre variante de collaboration forcée et/ou involontaire.
Des douzaines d’entre eux se sont suicidés pour ne pas devoir mener à bien les ordres d’annihilation envers les populations vulnérables des ghettos, comme les enfants et les femmes, a commenté Dina Porat, historienne en chef du musée de l’Holocauste de Yad Vashem en Israël, auprès de JTA. D’autres ont coopéré avec les nazis par crainte que le ghetto ne subisse des représailles encore plus graves le cas échéant.
En tant que président nommé du Conseil juif du ghetto de Lodz, Chaim Rumkowski fait un discours pressant les détenus à travailler dur pour survivre (Crédit : Domaine public)
D’autres responsables de Judenrat, ont pour leur part paru se délecter des pouvoirs qui leur avaient été octroyés. Cela a notamment été le cas de Chaim Mordechai Rumkowski, du ghetto de Lodz.
Circulant dans le ghetto dans une charrette délabrée et tirée par un cheval, Rumkowski avait mis en place une devise portant sa signature et des timbres à son image, ce qui lui avait valu le surnom sarcastique de « Roi Chaim ». De manière tristement célèbre, il avait poussé ses « sujets » à remettre leurs enfants aux Allemands qui les avaient envoyés à la mort. Il avait finalement été frappé à mort à Auschwitz, où il était arrivé par le dernier transport.
Mardi, le ministre des Affaires étrangères polonais Jacek Czaputowicz a reconnu dans un entretien accordé au journal Dziennik Gazeta Prawna qu’il y avait eu des collaborateurs polonais, ajoutant que la situation concernant la collaboration était « extrêmement compliquée ».
Il y a eu des cas, a-t-il ajouté, où des Juifs attrapés par les nazis avaient mené ces derniers aux Polonais qui les avaient abrités (Selon un témoignage, une femme du village de Chociszewo avait dénoncé son époux non-juif aux Allemands pour continuer à vivre la relation amoureuse qu’elle entretenait avec un Juif qu’elle avait caché et qui devait plus tard être assassiné par les soldats russes).
Même si de nombreux collaborateurs juifs sont méprisés par ces derniers en Israël et au-delà, les comparer aux collaborateurs polonais « est moralement et historiquement mensonger en raison également du spectre complexe de la collaboration », a expliqué Porat. Cette complexité n’est pas applicable aux collaborateurs polonais, dont un nombre mineur a pu être menacé de mort s’ils n’acceptaient pas de trahir ou de livrer des Juifs.
« La mise en cause de tous ces collaborateurs peut paraître similaire », a continué Porat, « mais le contexte dans lequel ils ont été amenés à agir était radicalement différent ».

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