Il aurait été impensable il y a quelques années que la Maison Blanche envisage de refermer le parapluie diplomatique utilisé pendant des décennies pour protéger Israël à l’ONU.
Mais, alors que le Premier ministre Benjamin Netanyahu tente de limiter les dégâts après une suite de faux pas, en réitérant son soutien à une solution à deux Etats et en s’excusant pour sa rhétorique anti-arabe le jour de l’élection, Washington reste apparemment déterminé à « réexaminer » sa politique vis-à-vis d’Israël et des Palestiniens.
Très peu, sinon rien, ne changera sur le terrain, mais une résolution du Conseil de sécurité appelant à un Etat palestinien aura certainement des répercussions diplomatiques graves pour Israël, prédisent les analystes.
Même si l’administration américaine insiste sur le fait qu’elle n’a apporté aucun changement à la politique américaine, les responsables affirment que le président Barack Obama envisage fortement de soutenir les requêtes palestiniennes au Conseil de sécurité des Nations unies.
Cela pourrait signifier que Washington n’imposera pas son veto sur une résolution française ou jordanienne appelant à la création d’un Etat palestinien sur la base des lignes de 1967 avec des échanges de territoires.
Les États-Unis pourraient même proposer leur propre résolution visant à consacrer les paramètres d’un futur accord de paix fondé sur une solution à deux Etats.
Des drapeaux palestiniens ne vont pas apparaître soudainement à travers la Cisjordanie à court terme. Jérusalem n’a pas à craindre non plus une volée de sanctions sévères ou d’autres mesures punitives suite à une résolution votée à Turtle Bay [le quartier où se situe le siège de l’ONU].
Mais une résolution du Conseil de sécurité serait le signal envoyé à la communauté internationale que les Américains ne sont plus intéressés à protéger le désir d’Israël de maintenir le statu quo, ce qui est susceptible de déclencher une avalanche de décisions diplomatiques qui finiront par affaiblir la position d’Israël dans les négociations avec le Palestiniens.
« Le symbolique pourrait avoir des implications sur le long terme », a déclaré le professeur en étude internationale Stephen Zune, qui coordonne le programme d’étude du Moyen-Orient à l’université de San Francisco.
Le soutien de Washington à des mesures liées à la Palestine à l’ONU mettrait en évidence l’isolement grandissant d’Israël, ce qui pourrait motiver les Israéliens à voter pour un gouvernement moins belliciste à l’avenir, suppose Zune, un critique connu du soutien diplomatique américain envers Israël.
Bien qu’aucune sanction ne soit automatiquement votée pour la violation d’une résolution du Conseil de sécurité, ce supposé changement de position de l’administration américaine à l’ONU pourrait inciter l’Union européenne à commencer à appliquer des mesures punitives, telles que l’étiquetage des produits provenant de Cisjordanie, qui auraient un impact négatif sur l’économie d’Israël, explique-t-il.
Benjamin et Sara Netanyahu au QG électoral du Likud à Tel Aviv, la nuit du 17 au 18 mars 2015 (Crédit : Miriam Alster/Flash 90)
Benjamin et Sara Netanyahu au QG électoral du Likud, à Tel Aviv, la nuit du 17 au 18 mars 2015 (Crédit : Miriam Alster/Flash 90)
Jérusalem s’oppose catégoriquement à toute résolution du Conseil de sécurité sur la question palestinienne, mais il semble que peu d’efforts soient déployés pour dissuader les Américains de leur plan de faire pression pour le vote d’une résolution.
Au lieu de cela, l’administration Netanyahu concentre tous ses efforts pour empêcher un mauvais accord nucléaire avec l’Iran, analyse un haut responsable israélien. En effet, les fonctionnaires de Jérusalem affirment que les menaces de l’administration américaine sur le front palestinien visent à détourner l’attention de l’accord avec l’Iran qu’il est en train de négocier.
Jusqu’à présent, les Américains ont seulement annoncé qu’ils allaient revoir leur politique et n’ont pas encore pris de décision, fait valoir le responsable.
« La politique américaine a toujours été que l’on parvienne à la paix avec des négociations directes entre les parties. C’est la bonne politique – il n’y a pas d’autre moyen pour parvenir à la paix », a déclaré le responsable, qui a accepté de témoigner sous condition d’anonymat.

Israël détient le record du pays qui ne tient pas compte des résolutions du Conseil de sécurité

Les choses vont mal, mais elles pourraient être encore pires. En fin de compte, explique Robbie Sabel, un ancien conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères d’Israël, toute résolution du Conseil de sécurité sur la Palestine ne sera pas exécutoire ; Israël n’a donc pas à s’inquiéter de représailles immédiates et concrètes.
Ce serait différent si ladite résolution est adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui traite des menaces à la paix internationale ou « des actes d’agression ».
Mais de toute son histoire, le Conseil de sécurité n’a jamais adopté une résolution sur le conflit israélo-palestinien en vertu du Chapitre VII et il est pratiquement garanti que le projet actuellement en discussion ne sera pas une exception à cette règle, affirment plusieurs experts en droit international.
Les sanctions imposées aux États, fondées sur les résolutions déposées en vertu du chapitre VII, sont contraignantes pour tous les Etats membres de l’ONU – par exemple, les sanctions portant contre l’Iran et sur son programme nucléaire. Mais puisque cela ne sera pas le cas avec la résolution sur la Palestine soutenue par les Etats-Unis, Jérusalem n’aura pas à subir un régime concerté de sanctions internationales.
Toutefois, les États ou les organisations individuelles telles que l’UE pourraient indépendamment décider de sanctionner ou de boycotter Israël.
Toute résolution du Conseil de sécurité sur la solution à deux Etats serait plutôt déposée en vertu du Chapitre VI, qui exhorte les Etats en conflit les uns avec les autres à s’engager dans des négociations. Les juristes estiment que ces résolutions sont juridiquement contraignantes, mais expliquent qu’il n’y a aucun moyen de les faire appliquer.
La résolution tant redoutée sur la solution à deux Etats n’est donc rien de plus qu’une « déclaration politique », analyse Sabel, qui enseigne le droit international à l’Université hébraïque.
Plutôt que d’être une arme palestinienne apocalyptique annonçant un retrait imminent d’Israël de la Cisjordanie, elle devrait être considérée comme une « recommandation non contraignante », proposée aux deux parties, de négocier sur la base du cadre prévu par la résolution.
Israël viole déjà près de 100 résolutions du Conseil de sécurité, la plupart d’entre eux appelant à un retrait du territoire. Une autre résolution pourrait facilement être ajoutée à la liste qui sera classée sans suite par Jérusalem.
Bien qu’il existe de nombreux autres pays qui ignorent les résolutions du Conseil de sécurité (la plupart d’entre eux sont des alliés des États-Unis), Israël détient le record, selon une étude datant de 2002.
La violation la plus connue est la violation de la Résolution 242 de novembre 1967, qui précise que la paix au Moyen-Orient doit inclure le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ».
D’autres résolutions condamnent l’annexion par Israël de Jérusalem-Est, mais jusqu’à présent, il n’y en a pas qui préciserait les modalités d’un retrait israélien de façon plus concrète.
Mais des projets de résolution circulent, que les Etats-Unis pourraient laisser passer.
Ces résolutions définiraient les modalités du retrait – en se fondant explicitement sur les lignes de 1967 pour dessiner la future frontière entre Israël et la Palestine. Et cela constituerait une brèche sérieuse dans la position d’Israël dans les négociations, a déclaré Dore Gold, ancien ambassadeur d’Israël à l’ONU et proche conseiller de Netanyahu.
« Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui délimite explicitement les futures frontières d’Israël compromettrait d’abord et avant tout un accord bilatéral entre Israël et les Palestiniens, qui ont fait des frontières un point dans les négociations et pas quelque chose qui serait imposée de l’extérieur », a déclaré Gold.
Dore Gold (Crédit : Moshe Shai/Flash 90)
Dore Gold (Crédit : Moshe Shai/Flash 90)
Une résolution du Conseil de sécurité exigeant un retrait israélien aux frontières de 1967, même avec des échanges de territoires mineurs, serait en contradiction avec l’esprit de la Résolution 242, a fait valoir Gold.
« Il convient de souligner que dans un mémorandum de 1975 passé entre les Etats-Unis et Israël, Washington a assuré qu’il voterait contre toute initiative du Conseil de sécurité qui altérerait ou modifierait la Résolution 242 et 338 [votée après la guerre du Kippour] ‘d’une façon qui serait incompatible avec leur objectif initial’ ».
Une résolution soutenue par les Américains consacrant la Ligne verte comme base pour un futur accord de paix ne changera rien sur le terrain, mais il permettra d’améliorer la position de l’Autorité palestinienne lors des négociations, a déclaré Ilai Saltzman, un professeur israélien en relations internationales qui enseigne actuellement au Claremont McKenna College, en Californie. « C’est une pente glissante. Si les Américains n’imposent pas leur veto à chaque résolution, ils ouvrent une fenêtre pour des changements supplémentaires dans la politique étrangère américaine. »
Certes, Jérusalem maintiendra sa capacité à empêcher la création de facto d’un Etat palestinien. Mais une résolution du Conseil de sécurité sur la question conduira au vote d’une autre résolution, et les violations d’Israël de chacune d’entre elles finiront par mettre Israël en collision avec l’ensemble de la communauté internationale, ajoute Saltzman.
« Il y aura un effet cumulatif de ces résolutions et, finalement, même si Netanyahu reste Premier ministre pendant les quatre prochaines années, la pression ne fera qu’augmenter au fil du temps », conclut-il.
Les Israéliens sont fiers d’avoir accepté le plan de partition des Nations unies de 1947 que les Arabes ont rejeté, explique Saltzman. Un Etat d’Israël qui refuse de reconnaître une résolution du Conseil de sécurité appelant à une solution à deux Etats pourrait saper cette position, suppose-t-il.
« Cela permettra aux Palestiniens d’assumer le rôle qu’avait Israël dans les années 1940 et 1950. Nous aurons un renversement complet des rôles de David et Goliath. »
Plus dangereusement, ajoute Saltzman, la volonté des Américains d’abandonner Israël à l’ONU peut potentiellement déclencher des sanctions et des amendes imposées par l’Union européenne, qui a longtemps envisagé d’imposer certaines restrictions, en particulier sur les produits en provenance de la Cisjordanie.
« La communauté internationale en a assez de l’occupation israélienne, explique-t-il, et si les États-Unis traduisent cette frustration dans leur politique, cela pourrait sérieusement miner les relations israélo-européennes. Israël sera dans une situation très précaire. »