12 de marzo de 2017

FRANCIA: TRES ARTICULOS: "L’affaire Fillon a exacerbé les contradictions de la droite" - Des électeurs radicalisés ? ... - Ingrid Riocreux : un décryptage acerbe de la presse et de son langage

Marianne, Publié le 08/03/2017 à 08:30; https://www.marianne.net/politique/l-affaire-fillon-exacerbe-les-contradictions-de-la-droite, 12/03/2017 18:24:16.

"L’affaire Fillon a exacerbé les contradictions de la droite"

Propos recueillis par Louis Hausalter
Maître de conférence à l’Institut catholique d’études supérieurs (ICES) de La Roche-sur-Yon, Guillaume Bernard est l’auteur de "La guerre à droite aura bien lieu" (Desclée de Brouwer, 2016). Il décrypte les tensions entre les différentes franges de la droite réactivées par le séisme de l’affaire Fillon.
Marianne : Au-delà du « PenelopeGate », le lâchage de François Fillon par les centristes et une frange de son propre parti traduit-elle une fracture à droite ?
Guillaume Bernard : Oui, j’y vois même une triple cassure. La première est sociologique : elle oppose la droite d’en haut et la droite d’en bas, les hommes politiques professionnels et l’électorat. Leurs intérêts ne sont pas les mêmes. Les caciques de la politique poursuivent des logiques d’appareils, alors que les électeurs raisonnent en termes de camps. L’angoisse des ténors de la droite, c’est le risque de disparition du parti Les Républicains en cas d’élimination dès le premier tour de la présidentielle. Les électeurs de droite, eux, se fichent un peu des partis. Ils veulent simplement prendre leur revanche sur François Hollande et être sûrs de gagner en mai.
La deuxième distorsion porte sur la stratégie. Des digues ont sauté chez les électeurs de droite, dont la porosité avec le Front national est désormais très grande. Au Trocadéro dimanche, on a entendu des gens affirmer face caméra qu’ils voteraient Marine Le Pen ou s’abstiendraient si François Fillon n’est pas le candidat de la droite. Il y a donc une cassure entre une droite qui se voit comme un rempart au FN et une autre qui accepte la proximité idéologique avec lui.
La troisième fracture est idéologique et elle s’était déjà manifestée lors de la primaire. Sur toute une série de sujets, comme la construction européenne, l’identité, le mariage pour tous, la bioéthique et dans une moindre mesure l’économie, la droite est divisée. La gauche aussi a ses divisions, mais elles se traduisent par différentes offres électorales : on le voit à travers le clivage Emmanuel Macron/Jean-Luc Mélenchon. A droite, la fracture idéologique court au sein d’un même parti.
La droite semble sans cesse rattrapée par la fusion du RPR et de l’UDF au sein de l’UMP en 2002...
Exactement. L’UMP a concrétisé le fantasme du parti unique de la droite, destiné à bâtir l’union face au socialisme. Mais à partir du moment où il n’y a plus un ennemi commun, ça ne fonctionne plus...
Alain Juppé estime que « le noyau dur des militants et sympathisants LR s’est radicalisé ». Qu’en pensez-vous ?
Je fais le même constat, j’ai appelé cela le mouvement dextrogyre dans mon livre. Depuis 2007 et l’avènement de la ligne inspirée par Patrick Buisson, ceux qui étaient déjà à droite le sont de plus en plus. Cette droitisation est plus forte dans l’électorat que parmi les ténors de la vie politique. D’autre part, la pression idéologique vient désormais de la droite du spectre politique. Bien sûr, ce mouvement profite à l’extrême droite, mais pas seulement. En réalité, toutes les familles politiques ancrées à droite voient leur espace s’élargir.
L’électorat de droite a utilisé Fillon pour dire non à Nicolas Sarkozy, jugé trop sulfureux, mais aussi à Alain Juppé, soupçonné de vouloir gouverner avec une coalition de modérés. Le choix de François Fillon émane de ce qu’il reste de la frange RPR, dont l’autre partie a déjà basculé vers le FN.
François Fillon remet en cause la justice, les médias et a fait descendre ses partisans dans la rue. S’est-il engagé dans une démarche populiste ?
Je pense que ce n’est ni sa psychologique, ni sa nature. C’est plutôt la nécessité qui l’a poussé à utiliser la rue contre les appareils : son discours du Trocadéro visait à mettre les caciques de son parti au pied du mur. Pour l’instant, il a gagné son bras de fer, mais il prend un énorme risque : si la droite est éliminée dès le premier tour en avril, il en portera la responsabilité. Il n’en reste pas moins qu’une atmosphère populiste colore toute la vie politique occidentale. Cet aspect n’est pas exacerbé dans la campagne de François Fillon, mais on en retrouve indéniablement une dose.
Le parti LR peut-il tenir malgré ses guerres internes ?
Si le candidat LR n’est pas au second tour de la présidentielle, il me paraît évident que le parti explosera. S’il perd au second tour face à Marine Le Pen, l’éclatement est probable aussi. La cohésion sera sans doute bien plus forte en cas de duel contre Emmanuel Macron.
En revanche, sur le long terme, si une distorsion toujours plus forte persiste entre le parti et son électorat, c’est le parti qui cèdera, car le système partisan finit toujours par se transformer sous la pression de l’opinion publique. Pour moi, LR est voué à disparaître à terme dans le cadre d’une recomposition selon des clivages doctrinaux plus clairs. Une partie de la droite est susceptible de trouver un accord avec le FN, tandis qu’une autre partie, l’UDI en tête, pourrait s’associer à un grand bloc libéral aujourd’hui incarné par Macron.

Des  électeurs  radicalisés ? Comment  la  droite  d'en  haut  en  est  arrivée  à  ne  plus  comprendre celle  d'en  bas  ni  la  nature  de  sa  soif  de  renouveau

Lors de son intervention du Lundi 6 février, Alain Juppé, outre ses critiques à l'égard de François Fillon, a pu indiquer que "le noyau dur des militants des Républicains s'est radicalisé". Mais ces accusations cachent un manque de compréhension de l'électorat de droite de la part de l'ex candidat.
Guillaume Bernard :  La droite est traversée par cette dichotomie, les électeurs étant plus authentiquement de droite que leurs élus. Les différents courants classés à droite ont longtemps pu trouver un terrain d’entente, des raisons de s’unir, face à la gauche socialo-communiste. Mais, avec l’effondrement du régime soviétique et la conversion d’une partie de la gauche au libéralisme, les causes de mésentente « à » droite ont ressurgi. La pression idéologique ne vient plus par la gauche mais par la droite. Les idées ontologiquement de droite se redéployent. C’est ce que j’ai proposé d’appeler le « mouvement dextrogyre » (La guerre à droite aura bien lieu, DDB, 2016). Une partie des ténors de la droite l’ont compris et ont accepté de « droitiser » leur discours (ça été le cas de Nicolas Sarkozy avec la « ligne Buisson »). D’autres, tel Alain Juppé, s’y refusent et glissent vers le centre. Ceux qui ont désigné François Fillon à la primaire ont projeté sur lui des idées plus « droitières » que celles qu’il professe vraiment. Mais il n’en demeure pas moins que ce peuple de droite a voulu un candidat identifié comme s’assumant de droite pour prendre une revanche sur la gauche et non constituer, avec elle, une « grande coalition » (comme l’envisageait Alain Juppé et comme l’incarne désormais Emmanuel Macron). 

Guillaume Bernard : Les hommes politiques ont une capacité assez fascinante à épouser un positionnement puis à en changer. A l’automne 2012, dans la campagne pour la présidence de l’UMP qui l’opposait à Jean-François Copé, François Fillon avait cherché à incarner la position modérée. Quatre ans plus tard, à l’occasion de la primaire, il s’est affiché d’une droite assumée face à Alain Juppé. En outre, les hommes politiques instrumentalisent dans leurs discours des notions pouvant être soit polysémiques (chacun y met ce qu’il a envie d’entendre) soit contradictoires (chacun ne faisant attention qu’à ce qui l’intéresse). L’attelage du libéralisme et du conservatisme est intrinsèquement contradictoire, mais chacun peut y trouver son compte.
En s’appuyant sur le résultat sans appel de la primaire et la mobilisation réussie au Trocadéro, François Fillon a joué le peuple contre les caciques, la droite d’en bas contre la droite d’en haut. De fait, il a surfé sur l’atmosphère populiste qui se répand en France et réussi son bras de fer avec les instances de son parti : mises au défi de le forcer à renoncer, elles ont reculé. Dimanche soir, au 20 h de France 2 affirmé que son principal adversaire était Marine Le Pen, jetant aux orties la position qu’il avait énoncée en septembre 2013 en affirmant préférer un candidat FN ouvert à un du PS sectaire. Or, c’est justement dans ce peuple de droite qui l’a désigné à la primaire et lui a permis de résister aux pressions pour se démettre qu’il y a les plus grandes proximité idéologique et porosité électorale avec le FN.
Atlantico : En quoi la demande de renouvellement peut-elle bien plus concerner les idées que les visages ? Dès lors, en quoi l'arrivée d'un "nouveau visage"; comme celui de François Baroin pourrait ne pas répondre au problème posé ?
Guillaume Bernard : Le vent de panique qui a pris LR (défection de la campagne, blocage de l’appareil militant) s’explique par la hantise de connaître un « 21-avril » à l’envers. Comme le montre les courbes d’intention de vote, l’affaiblissement de la candidature de François Fillon dans les sondages est réel. Elle peut cependant être relativisée de deux points de vue : d’une part, la certitude du vote en faveur du candidat LR est largement plus élevée que celle qui bénéficie à Emmanuel Macron et, d’autre part, les enquêtes Filteris donnent toujours l’ancien Premier ministre au second tour de la présidentielle.
L’un des principaux enjeux de la présidentielle 2017 est donc le maintien ou la disparition des partis modérés qui, avec des étiquettes parfois fluctuantes, ont gouverné alternativement ou concomitamment (cohabitations) la France depuis 40 ans. Ceux qui voulaient débarquer François Fillon avaient comme principal objectif de préserver l’existence d’un parti devenu fragile car pris en étau entre le FN et la « grande coalition » macronienne qui, à gauche, a dynamité le PS issu du congrès d’Épinay. N’ayant pas réussi à obtenir le retrait de François Fillon, certains semblent se rabattre sur la constitution d’un ticket Fillon-Baroin. Associer un chiraquien (devenu sarkozyste) à l’ancien Premier ministre, c’est chercher à maintenir encore, même de manière artificielle, la cohésion des Républicains, en les rendant solidaires dans la victoire électorale recherchée. A moins que ce ne soit justement la course au centre qui n’entraine la droite à la défaite… 
Guillaume Bernard : La distorsion entre le peuple et les élites est patent. Le premier se sent délaissé et incompris des secondes. Pas seulement parce que leurs niveaux de vie ne sont pas les mêmes. C’est surtout parce que leurs appréhensions du monde divergent. L’incapacité des élites à appréhender la multiplicité et l’interaction des crises procède, d’abord, de leur idéologie matérialiste : elles réduisent les dysfonctionnements de la société à un trouble dans le domaine de l’avoir qu’un retour à la prospérité fera disparaître. Elles ne parviennent pas à identifier la nature profonde des enjeux, à déterminer le dénominateur commun de toutes les frictions. Elles ne saisissent pas qu’il y a, à leur racine, une crise de l’être : incertain quant à sa persistance en tant que puissance industrielle, militaire ou civilisationnelle, le corps social vit une étape périlleuse et décisive dans son existence. La porosité des frontières, les abandons de souveraineté, l’explosion de la dette publique, la baisse du niveau scolaire ou encore les émeutes urbaines sont autant de sujets qui illustrent la perte des libertés, la dépossession de soi et la dilution de la maîtrise de son destin. Ce que le populisme a compris c’est que le patrimoine n’est pas seulement matériel mais qu’il est aussi culturel : c’est le mode de vie. En cela, le populisme répond à l’angoisse du peuple alors que les élites l’ignore ou la gausse.
Quatre principaux facteurs expliquent la force inhabituelle de l’actuelle exaspération des Français. Premièrement, du point de vue sociologique, la conjonction de catégories socio-professionnelles jusqu’ici distinctes voire opposées (ouvriers, agriculteurs, employés et chefs de petites et moyennes entreprises) : la paupérisation économique, le déclassement social et la relégation spatiale dans la « France périphérique » commencent à les rendre solidaires. Deuxièmement, sous l’angle institutionnel, l’affaiblissement des partis politiques et des groupes d’influences, la dé-légitimation des élites : la contestation qui gronde n’est pas canalisée, comme jadis, par des corps intermédiaires susceptibles de la brider par stratégie ou par idéologie. Troisièmement, d’un point de vue politique, les gouvernants ne disposent plus de soupapes de sécurité pour apaiser les angoisses et les colères : ils n’ont plus les moyens de lâcher du lest financier. Quatrièmement, sous l’angle idéologique, l’absence de philosophie de substitution permettant d’offrir des lendemains qui chantent : les idéologies modernes sont épuisées. 

Jean-Philippe Vincent : Mon sentiment sur ce qui s'est passé aux Etats-Unis et en grande Bretagne c'est que ce n'est pas de la radicalisation à l'état pur, les gens ont voté contre le politiquement correct. Ça a été d'ailleurs les deux premières défaites électorales du politiquement correct et ça apparait comme quelque chose d'insupportable pour les tenants de cette attitude politique. Si bien qu'ils ont tendance à qualifier cela soit d'ultra radicalité soit même de fascisme. 
En France il est possible que les gens en aient ras-le-bol également et qu'on ne se trouve plus très loin d'un phénomène à la "britannique" ou à "l'américaine", dont la forme resterait à déterminer. Si on ne comprend pas que c'est avant tout profondément une révolte populaire contre le politiquement correct, alors on ne comprend pas bien les choses. 
Les gens veulent un langage de vérité, on les a dupés avec des mots et des slogans politiquement corrects pendant des années, aujourd'hui ils veulent  de la réalité. On ne peut pas leur reprocher ça me semble-t-il. 
Guillaume Bernard : Chaque pays a naturellement ses caractéristiques politiques. Cependant, plusieurs scrutins, élections et référendums, ont, ces derniers mois, manifesté une incontestable droitisation du paysage politique des démocraties occidentales. Ce sont les idées de la droite ontologique (et pas seulement situationnelle), d’une droite qui ne cache pas son anti-modernisme, qui progressent et repoussent vers la gauche du spectre politique les idées qui occupaient son espace électoral ; c’est le « mouvement dextrogyre ». L’idéologie politique qu’il porte n’est sans doute pas encore parfaitement explicite et homogène. Mais, plusieurs traits caractéristiques peuvent être dégagés. Elle est une combinaison des facteurs suivants :
- l’identitarisme (par opposition au multiculturalisme) : hostilité envers l’immigration considérée comme un facteur de déstabilisation culturelle et de désagrégation sociale, affirmation des racines chrétiennes des nations occidentales vis-à-vis de l’islamisme mais aussi du laïcisme ;
- le souverainisme (par opposition au mondialisme) : revendication de pouvoir disposer de son destin (contrôle des frontières), de déterminer son avenir (contrôle du pouvoir normatif) ; « Take back control » fut le slogan des partisans du Brexit ;
- le subsidiarisme (par opposition tant au libéralisme qu’au socialisme) : rejet tant de la loi de la jungle libérale (travail du dimanche) que de l’égalitarisme socialiste (assistanat) ; préconisation d’un État fort (susceptible d’exercer un protectionnisme douanier) mais limité dans ses domaines d’intervention (baisse des prélèvements obligatoires pesant sur les familles et les entreprises, défense des libertés pour les corps sociaux comme les institutions scolaires et universitaires) ; acceptation d’une société avec marché (où seuls certains biens sont échangeables) et non d’une société de marché (où celui-ci devient la méthode d’analyse de l’ensemble des phénomènes sociaux) ;
- le conservatisme (par opposition au progressisme) : affirmation de l’enracinement des personnes individuelles et collectives dans une histoire et des traditions ; avec le « mouvement dextrogyre », le front du combat des idées s’est inversé et des positions idéologiques qui, auparavant, s’affrontaient sont désormais susceptibles de collaborer et de se nourrir mutuellement ; le conservatisme ne consiste donc plus en une simple volonté de maintenir l’ordre établi mais se colore de réaction : il s’oppose aux différentes manifestations de la modernité, aussi bien l’individualisme que le matérialisme (d’où son insistance dans le combat pro-vie).

AUNQUE ALGUNO QUE RECIBA ESTOS TRES ARTICULOS, CORTESIA  DEL SR. DUFAUR, YA TOMO CONOCIMIENTO POR ESTAR EN LA RR, O HABER RECIBIDO LA GRABACION, ME PARECE QUE SON TAN IMPORTANTESN QUE CONVIENE TENER EL TEXTO IMPRESO. VEAN QUE CONSTA EL LINK DE LA FUENTE PARA CUALQUIER VERIFICACION
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Marianne, Publié le 08/03/2017 à 08:30; https://www.marianne.net/politique/l-affaire-fillon-exacerbe-les-contradictions-de-la-droite12/03/2017 18:24:16.

"L’affaire Fillon a exacerbé les contradictions de la droite"

Propos recueillis par Louis Hausalter
Maître de conférence à l’Institut catholique d’études supérieurs (ICES) de La Roche-sur-Yon, Guillaume Bernard est l’auteur de "La guerre à droite aura bien lieu" (Desclée de Brouwer, 2016). Il décrypte les tensions entre les différentes franges de la droite réactivées par le séisme de l’affaire Fillon.
Marianne : Au-delà du « PenelopeGate », le lâchage de François Fillon par les centristes et une frange de son propre parti traduit-elle une fracture à droite ?
Guillaume Bernard : Oui, j’y vois même une triple cassure. La première est sociologique : elle oppose la droite d’en haut et la droite d’en bas, les hommes politiques professionnels et l’électorat. Leurs intérêts ne sont pas les mêmes. Les caciques de la politique poursuivent des logiques d’appareils, alors que les électeurs raisonnent en termes de camps. L’angoisse des ténors de la droite, c’est le risque de disparition du parti Les Républicains en cas d’élimination dès le premier tour de la présidentielle. Les électeurs de droite, eux, se fichent un peu des partis. Ils veulent simplement prendre leur revanche sur François Hollande et être sûrs de gagner en mai.
La deuxième distorsion porte sur la stratégie. Des digues ont sauté chez les électeurs de droite, dont la porosité avec le Front national est désormais très grande. Au Trocadéro dimanche, on a entendu des gens affirmer face caméra qu’ils voteraient Marine Le Pen ou s’abstiendraient si François Fillon n’est pas le candidat de la droite. Il y a donc une cassure entre une droite qui se voit comme un rempart au FN et une autre qui accepte la proximité idéologique avec lui.
La troisième fracture est idéologique et elle s’était déjà manifestée lors de la primaire. Sur toute une série de sujets, comme la construction européenne, l’identité, le mariage pour tous, la bioéthique et dans une moindre mesure l’économie, la droite est divisée. La gauche aussi a ses divisions, mais elles se traduisent par différentes offres électorales : on le voit à travers le clivage Emmanuel Macron/Jean-Luc Mélenchon. A droite, la fracture idéologique court au sein d’un même parti.
La droite semble sans cesse rattrapée par la fusion du RPR et de l’UDF au sein de l’UMP en 2002...
Exactement. L’UMP a concrétisé le fantasme du parti unique de la droite, destiné à bâtir l’union face au socialisme. Mais à partir du moment où il n’y a plus un ennemi commun, ça ne fonctionne plus...
Alain Juppé estime que « le noyau dur des militants et sympathisants LR s’est radicalisé ». Qu’en pensez-vous ?
Je fais le même constat, j’ai appelé cela le mouvement dextrogyre dans mon livre. Depuis 2007 et l’avènement de la ligne inspirée par Patrick Buisson, ceux qui étaient déjà à droite le sont de plus en plus. Cette droitisation est plus forte dans l’électorat que parmi les ténors de la vie politique. D’autre part, la pression idéologique vient désormais de la droite du spectre politique. Bien sûr, ce mouvement profite à l’extrême droite, mais pas seulement. En réalité, toutes les familles politiques ancrées à droite voient leur espace s’élargir.
L’électorat de droite a utilisé Fillon pour dire non à Nicolas Sarkozy, jugé trop sulfureux, mais aussi à Alain Juppé, soupçonné de vouloir gouverner avec une coalition de modérés. Le choix de François Fillon émane de ce qu’il reste de la frange RPR, dont l’autre partie a déjà basculé vers le FN.
François Fillon remet en cause la justice, les médias et a fait descendre ses partisans dans la rue. S’est-il engagé dans une démarche populiste ?
Je pense que ce n’est ni sa psychologique, ni sa nature. C’est plutôt la nécessité qui l’a poussé à utiliser la rue contre les appareils : son discours du Trocadéro visait à mettre les caciques de son parti au pied du mur. Pour l’instant, il a gagné son bras de fer, mais il prend un énorme risque : si la droite est éliminée dès le premier tour en avril, il en portera la responsabilité. Il n’en reste pas moins qu’une atmosphère populiste colore toute la vie politique occidentale. Cet aspect n’est pas exacerbé dans la campagne de François Fillon, mais on en retrouve indéniablement une dose.
Le parti LR peut-il tenir malgré ses guerres internes ?
Si le candidat LR n’est pas au second tour de la présidentielle, il me paraît évident que le parti explosera. S’il perd au second tour face à Marine Le Pen, l’éclatement est probable aussi. La cohésion sera sans doute bien plus forte en cas de duel contre Emmanuel Macron.
En revanche, sur le long terme, si une distorsion toujours plus forte persiste entre le parti et son électorat, c’est le parti qui cèdera, car le système partisan finit toujours par se transformer sous la pression de l’opinion publique. Pour moi, LR est voué à disparaître à terme dans le cadre d’une recomposition selon des clivages doctrinaux plus clairs. Une partie de la droite est susceptible de trouver un accord avec le FN, tandis qu’une autre partie, l’UDI en tête, pourrait s’associer à un grand bloc libéral aujourd’hui incarné par Macron.

Des  électeurs  radicalisés ? Comment  la  droite  d'en  haut  en  est  arrivée  à  ne  plus  comprendre celle  d'en  bas  ni  la  nature  de  sa  soif  de  renouveau

Lors de son intervention du Lundi 6 février, Alain Juppé, outre ses critiques à l'égard de François Fillon, a pu indiquer que "le noyau dur des militants des Républicains s'est radicalisé". Mais ces accusations cachent un manque de compréhension de l'électorat de droite de la part de l'ex candidat.
Guillaume Bernard :  La droite est traversée par cette dichotomie, les électeurs étant plus authentiquement de droite que leurs élus. Les différents courants classés à droite ont longtemps pu trouver un terrain d’entente, des raisons de s’unir, face à la gauche socialo-communiste. Mais, avec l’effondrement du régime soviétique et la conversion d’une partie de la gauche au libéralisme, les causes de mésentente « à » droite ont ressurgi. La pression idéologique ne vient plus par la gauche mais par la droite. Les idées ontologiquement de droite se redéployent. C’est ce que j’ai proposé d’appeler le « mouvement dextrogyre » (La guerre à droite aura bien lieu, DDB, 2016). Une partie des ténors de la droite l’ont compris et ont accepté de « droitiser » leur discours (ça été le cas de Nicolas Sarkozy avec la « ligne Buisson »). D’autres, tel Alain Juppé, s’y refusent et glissent vers le centre. Ceux qui ont désigné François Fillon à la primaire ont projeté sur lui des idées plus « droitières » que celles qu’il professe vraiment. Mais il n’en demeure pas moins que ce peuple de droite a voulu un candidat identifié comme s’assumant de droite pour prendre une revanche sur la gauche et non constituer, avec elle, une « grande coalition » (comme l’envisageait Alain Juppé et comme l’incarne désormais Emmanuel Macron). 

Guillaume Bernard : Les hommes politiques ont une capacité assez fascinante à épouser un positionnement puis à en changer. A l’automne 2012, dans la campagne pour la présidence de l’UMP qui l’opposait à Jean-François Copé, François Fillon avait cherché à incarner la position modérée. Quatre ans plus tard, à l’occasion de la primaire, il s’est affiché d’une droite assumée face à Alain Juppé. En outre, les hommes politiques instrumentalisent dans leurs discours des notions pouvant être soit polysémiques (chacun y met ce qu’il a envie d’entendre) soit contradictoires (chacun ne faisant attention qu’à ce qui l’intéresse). L’attelage du libéralisme et du conservatisme est intrinsèquement contradictoire, mais chacun peut y trouver son compte.
En s’appuyant sur le résultat sans appel de la primaire et la mobilisation réussie au Trocadéro, François Fillon a joué le peuple contre les caciques, la droite d’en bas contre la droite d’en haut. De fait, il a surfé sur l’atmosphère populiste qui se répand en France et réussi son bras de fer avec les instances de son parti : mises au défi de le forcer à renoncer, elles ont reculé. Dimanche soir, au 20 h de France 2 affirmé que son principal adversaire était Marine Le Pen, jetant aux orties la position qu’il avait énoncée en septembre 2013 en affirmant préférer un candidat FN ouvert à un du PS sectaire. Or, c’est justement dans ce peuple de droite qui l’a désigné à la primaire et lui a permis de résister aux pressions pour se démettre qu’il y a les plus grandes proximité idéologique et porosité électorale avec le FN.
Atlantico : En quoi la demande de renouvellement peut-elle bien plus concerner les idées que les visages ? Dès lors, en quoi l'arrivée d'un "nouveau visage"; comme celui de François Baroin pourrait ne pas répondre au problème posé ?
Guillaume Bernard : Le vent de panique qui a pris LR (défection de la campagne, blocage de l’appareil militant) s’explique par la hantise de connaître un « 21-avril » à l’envers. Comme le montre les courbes d’intention de vote, l’affaiblissement de la candidature de François Fillon dans les sondages est réel. Elle peut cependant être relativisée de deux points de vue : d’une part, la certitude du vote en faveur du candidat LR est largement plus élevée que celle qui bénéficie à Emmanuel Macron et, d’autre part, les enquêtes Filteris donnent toujours l’ancien Premier ministre au second tour de la présidentielle.
L’un des principaux enjeux de la présidentielle 2017 est donc le maintien ou la disparition des partis modérés qui, avec des étiquettes parfois fluctuantes, ont gouverné alternativement ou concomitamment (cohabitations) la France depuis 40 ans. Ceux qui voulaient débarquer François Fillon avaient comme principal objectif de préserver l’existence d’un parti devenu fragile car pris en étau entre le FN et la « grande coalition » macronienne qui, à gauche, a dynamité le PS issu du congrès d’Épinay. N’ayant pas réussi à obtenir le retrait de François Fillon, certains semblent se rabattre sur la constitution d’un ticket Fillon-Baroin. Associer un chiraquien (devenu sarkozyste) à l’ancien Premier ministre, c’est chercher à maintenir encore, même de manière artificielle, la cohésion des Républicains, en les rendant solidaires dans la victoire électorale recherchée. A moins que ce ne soit justement la course au centre qui n’entraine la droite à la défaite… 
Guillaume Bernard : La distorsion entre le peuple et les élites est patent. Le premier se sent délaissé et incompris des secondes. Pas seulement parce que leurs niveaux de vie ne sont pas les mêmes. C’est surtout parce que leurs appréhensions du monde divergent. L’incapacité des élites à appréhender la multiplicité et l’interaction des crises procède, d’abord, de leur idéologie matérialiste : elles réduisent les dysfonctionnements de la société à un trouble dans le domaine de l’avoir qu’un retour à la prospérité fera disparaître. Elles ne parviennent pas à identifier la nature profonde des enjeux, à déterminer le dénominateur commun de toutes les frictions. Elles ne saisissent pas qu’il y a, à leur racine, une crise de l’être : incertain quant à sa persistance en tant que puissance industrielle, militaire ou civilisationnelle, le corps social vit une étape périlleuse et décisive dans son existence. La porosité des frontières, les abandons de souveraineté, l’explosion de la dette publique, la baisse du niveau scolaire ou encore les émeutes urbaines sont autant de sujets qui illustrent la perte des libertés, la dépossession de soi et la dilution de la maîtrise de son destin. Ce que le populisme a compris c’est que le patrimoine n’est pas seulement matériel mais qu’il est aussi culturel : c’est le mode de vie. En cela, le populisme répond à l’angoisse du peuple alors que les élites l’ignore ou la gausse.
Quatre principaux facteurs expliquent la force inhabituelle de l’actuelle exaspération des Français. Premièrement, du point de vue sociologique, la conjonction de catégories socio-professionnelles jusqu’ici distinctes voire opposées (ouvriers, agriculteurs, employés et chefs de petites et moyennes entreprises) : la paupérisation économique, le déclassement social et la relégation spatiale dans la « France périphérique » commencent à les rendre solidaires. Deuxièmement, sous l’angle institutionnel, l’affaiblissement des partis politiques et des groupes d’influences, la dé-légitimation des élites : la contestation qui gronde n’est pas canalisée, comme jadis, par des corps intermédiaires susceptibles de la brider par stratégie ou par idéologie. Troisièmement, d’un point de vue politique, les gouvernants ne disposent plus de soupapes de sécurité pour apaiser les angoisses et les colères : ils n’ont plus les moyens de lâcher du lest financier. Quatrièmement, sous l’angle idéologique, l’absence de philosophie de substitution permettant d’offrir des lendemains qui chantent : les idéologies modernes sont épuisées. 

Jean-Philippe Vincent : Mon sentiment sur ce qui s'est passé aux Etats-Unis et en grande Bretagne c'est que ce n'est pas de la radicalisation à l'état pur, les gens ont voté contre le politiquement correct. Ça a été d'ailleurs les deux premières défaites électorales du politiquement correct et ça apparait comme quelque chose d'insupportable pour les tenants de cette attitude politique. Si bien qu'ils ont tendance à qualifier cela soit d'ultra radicalité soit même de fascisme. 
En France il est possible que les gens en aient ras-le-bol également et qu'on ne se trouve plus très loin d'un phénomène à la "britannique" ou à "l'américaine", dont la forme resterait à déterminer. Si on ne comprend pas que c'est avant tout profondément une révolte populaire contre le politiquement correct, alors on ne comprend pas bien les choses. 
Les gens veulent un langage de vérité, on les a dupés avec des mots et des slogans politiquement corrects pendant des années, aujourd'hui ils veulent  de la réalité. On ne peut pas leur reprocher ça me semble-t-il. 
Guillaume Bernard : Chaque pays a naturellement ses caractéristiques politiques. Cependant, plusieurs scrutins, élections et référendums, ont, ces derniers mois, manifesté une incontestable droitisation du paysage politique des démocraties occidentales. Ce sont les idées de la droite ontologique (et pas seulement situationnelle), d’une droite qui ne cache pas son anti-modernisme, qui progressent et repoussent vers la gauche du spectre politique les idées qui occupaient son espace électoral ; c’est le « mouvement dextrogyre ». L’idéologie politique qu’il porte n’est sans doute pas encore parfaitement explicite et homogène. Mais, plusieurs traits caractéristiques peuvent être dégagés. Elle est une combinaison des facteurs suivants :
- l’identitarisme (par opposition au multiculturalisme) : hostilité envers l’immigration considérée comme un facteur de déstabilisation culturelle et de désagrégation sociale, affirmation des racines chrétiennes des nations occidentales vis-à-vis de l’islamisme mais aussi du laïcisme ;
- le souverainisme (par opposition au mondialisme) : revendication de pouvoir disposer de son destin (contrôle des frontières), de déterminer son avenir (contrôle du pouvoir normatif) ; « Take back control » fut le slogan des partisans du Brexit ;
- le subsidiarisme (par opposition tant au libéralisme qu’au socialisme) : rejet tant de la loi de la jungle libérale (travail du dimanche) que de l’égalitarisme socialiste (assistanat) ; préconisation d’un État fort (susceptible d’exercer un protectionnisme douanier) mais limité dans ses domaines d’intervention (baisse des prélèvements obligatoires pesant sur les familles et les entreprises, défense des libertés pour les corps sociaux comme les institutions scolaires et universitaires) ; acceptation d’une société avec marché (où seuls certains biens sont échangeables) et non d’une société de marché (où celui-ci devient la méthode d’analyse de l’ensemble des phénomènes sociaux) ;
- le conservatisme (par opposition au progressisme) : affirmation de l’enracinement des personnes individuelles et collectives dans une histoire et des traditions ; avec le « mouvement dextrogyre », le front du combat des idées s’est inversé et des positions idéologiques qui, auparavant, s’affrontaient sont désormais susceptibles de collaborer et de se nourrir mutuellement ; le conservatisme ne consiste donc plus en une simple volonté de maintenir l’ordre établi mais se colore de réaction : il s’oppose aux différentes manifestations de la modernité, aussi bien l’individualisme que le matérialisme (d’où son insistance dans le combat pro-vie).

BSCNews, Publication: 20 février 2017;  http://bscnews.fr/201702206131/franc-tireur/ingrid-riocreux-un-decryptage-acerbe-de-la-presse-et-de-son-langage.html, 02/03/2017 17:27:15
Vídeo em: https://www.youtube.com/watch?v=2Rr5Vwqrokk

Ingrid Riocreux : un décryptage acerbe de la presse et de son langage

Par Nicolas Vidal
Agrégée de lettres et maître de conférences à l’Université, Ingrid Riocreux a jeté un pavé dans la mare médiatique avec cet essai passionnant. Selon elle, les médias décryptent, analysent et orientent l’actualité selon un canevas idéologique. Le propos est dense, corrosif et brillant. Ingrid Riocreux nous explique plus en détails en quoi les enjeux manichéens voulus par une certaine partie de la presse ouvre un débat profond sur la démocratie et le libre arbitre.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre, Ingrid Riocreux? Y-a-t-il un événement en particulier qui a déclenché l’envie de vous exprimer sur ce sujet ?
J’ai commencé à écrire ce livre quand je donnais des cours de rhétorique à de futurs journalistes, à la Sorbonne. Comme je voulais rendre mon propos le plus concret possible, j’ai décidé de prendre des exemples dans l’actualité et je me suis aperçue qu’il existait une véritable langue des médias, une manière de parler propre aux journalistes, avec ses formules toutes faites, sa syntaxe, et ses mots porteurs d’un pré-pensé qui conditionne notre compréhension du monde. Cela dit, bien avant d’entreprendre l’écriture de ce livre, il y a bien un événement qui a représenté pour moi une prise de conscience de la puissance de conditionnement des médias. J’appartiens à ce qu’on a appelé la « génération 21 avril ». En 2002, j’étais en classe de première. A la maison, nous n’avions pas la télévision et je ne m’intéressais pas du tout à l’actualité. Or, quand Jean-Marie Le Pen s’est retrouvé au second tour, j’ai vu mes camarades devenir dingues ! Ils pleuraient, ils accusaient ceux qui ne venaient pas aux manifs d’être des complices du fascisme. Comme ils savaient que je n’avais pas la télé, ils se sentaient investis d’une mission à mon égard et m’expliquaient « Le Pen, il est comme Hitler ! ». Or, déjà au collège, les copines avaient essayé de m’expliquer la guerre du Kosovo comme ça : « Tu dois comprendre que Milosevic, il est comme Hitler ! ». Le caractère systématique, abusif et abêtissant de la nazification médiatique m’est apparu à travers le discours des autres, bien avant que je me mette à suivre l’actualité. Et cela m’a vaccinée à vie !
Vous avez parlé chez nos confrères de RMC « d’un bain idéologique » dans lequel sont les journalistes. Pouvez-vous expliquer cette notion de « bain idéologique » ?
Dans lequel ils sont et dans lequel ils nous plongent ! Les médias nous rappellent en permanence ce que nous devons penser sur tel ou tel sujet. Ils fixent la ligne officielle de la pensée autorisée. Et le discours médiatique jouit d’une énorme puissance prescriptive, aussi bien sur la forme que sur le fond. Comme je le dis dans mon livre, quand on est prof, on a beaucoup de mal à faire accepter que tel ou tel mot n’existe pas, ou ne s’emploie pas de telle manière, face à des élèves soutenant que « à la télé, ils disent comme ça ». Eh bien, c’est pareil pour les idées portées par ce discours. Nous savons d’instinct ce que nous pouvons dire et ce que nous ne pouvons pas dire, ou pas dire trop fort, ou pas avec n’importe qui. Car nous avons très bien intériorisé la ligne officielle. Il y a un discours spécifique aux médias sur des sujets comme l’immigration, le climat, la condition des femmes, la pédagogie, les mœurs, etc. Et ce discours n’est pas réductible à la doctrine d’un parti. C’est le dogme auquel nous sommes appelés à communier, une espèce de garantie d’unité, même si ce n’est qu’une unité de façade maintenue par la crainte généralisée d’être considéré comme un individu divergent.
Justement, vous abordez la question à la fois passionnante et terrifiante de l’inquisition médiatique qui « traque la pensée déviante » qui s’écarte donc du politiquement correct. Comment se caractérise cette inquisition médiatique ?
Il faut rappeler ce qu’est fondamentalement l’inquisiteur, afin d’éviter de le réduire à une figure du passé nécessairement associée à la prévalence sociale de la religion. L’inquisiteur est le garant de la paix civile, dans la mesure où il est le gardien du dogme. Il s’assure que les discours déviants ne prennent pas trop d’ampleur et ne mettent pas en péril la concorde, l’unité de la société qui repose sur une adhésion consentie ou contrainte au dogme officiel. On peut dire qu’il assure la police de la pensée. Et ce n’est pas nécessairement quelqu’un de cruel ! L’inquisiteur n’a pas le pouvoir de condamner à mort, ce n'est même pas lui qui soumet les gens à la question, c’est-à-dire à la torture. Il se charge des questions. De même, quand un journaliste demande « Regrettez-vous d’avoir dit cela ? », quand il traque les « dérapages » et appelle au « rétropédalage », il est dans une posture inquisitoriale. Et comme devant l’inquisiteur, si vous présentez des excuses, si vous vous humiliez, si vous récitez bien votre acte de contrition, vous reprenez une vie normale. Si vous persistez, on vous adjoint définitivement le qualificatif de « sulfureux » et tout ce que vous pourrez dorénavant dire ou faire sera discrédité par principe.
Cette inquisition est-elle selon vous l’apanage des grands médias traditionnels ?
Oui, pour la bonne et simple raison qu’il faut disposer d’une autorité reconnue pour prétendre avoir la légitimité de prononcer ce qu’on pourrait appeler des verdicts de fréquentabilité, c’est-à-dire des jugements reposant sur des critères moraux, même si les journalistes ne le reconnaissent pas. On se cachera derrière la défense de « nos valeurs ». Ou derrière de faux étiquetages politiques : telle personne sera dite « d’extrême droite ». On a l’impression que c’est une caractérisation objective ; en réalité, c’est une condamnation morale. On accuse parfois les organisations antiracistes ou des lobbys en tout genre d’être aussi des inquisiteurs mais je ne suis pas d’accord. Ils disposent de la visibilité et de la puissance de frappe que veulent bien leur donner les médias. Ils n’existeraient pas sans eux.
Pour aller plus loin dans cette réflexion, vous évoquez le mouvement «  Je suis Charlie » que vous analysez comme une «  formule vide ». Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Que nous ayons été contraints de nous rallier au mot d’ordre « je suis Charlie » est très symbolique. D’abord, on constate que cette formule entérine la sacralité des médias : le massacre dans le magasin juif passe à la trappe. Ensuite, ce slogan creux a permis de donner une illusion d’unité. Nous étions tous Charlie dans la mesure seulement où nous condamnions les assassinats perpétrés par les Kouachi. Derrière le même slogan, certains jugeaient qu’il fallait abattre la République, quand d’autres voulaient la renforcer ; certains demandaient la démission de Hollande, alors que d’autres voyaient en lui un chef de guerre ; certains voulaient éradiquer l’islam, d’autres voulaient interdire toutes les religions, d’autres enfin espéraient l’instauration de la charia en France mais désapprouvaient les méthodes des terroristes parce qu’elles discréditaient la cause de l’islamisation. Mais tout le monde était Charlie, slogan aussi bête que le « même pas peur » mensonger, brandi et scandé lors de la manifestation du 11 janvier.
Il est intéressant de réfléchir à cette idée de «  gardiens du code » que vous développez dans votre livre. Néanmoins, vous précisez que «  ce formatage opéré par les médias n’a pas vocation à soutenir un régime, une nation ou un parti. » Par quoi est-il donc motivé ? Et dans quel but ?
Les médias se situent au-delà du politique. Ils jouent le rôle de conscience morale athée pour notre temps, c’est ce qu’ils appellent leur « éthique de la responsabilité ». On peut trouver leur motivation extrêmement louable, en fait. Mais elle suppose d’accepter que les journalistes soient des directeurs de conscience, des éducateurs, ce qui n’est tout de même pas leur métier, que je sache !
Vous  évoquez également l’idée de sujets à charge «  le journaliste a donc trouvé un modus vivendi confortable : il n’enquête que sur les gens à qui il veut nuire. » N’est-ce pas là l’effondrement de l’éthique journalistique donc par conséquence du rôle fondamental de la presse et,  plus généralement, un affaissement de la démocratie ?
Si, vous le dites fort bien. C’est calamiteux mais c’est un fait. Les infiltrations ou les enquêtes à charge visent toujours les mêmes et épargnent toujours les mêmes. On s’infiltre dans un groupe de lutte anti-IVG ou dans une cellule locale du FN. On ne s’infiltre pas dans un groupuscule antifasciste ou dans un service d’orthogénie, un Planning Familial ou un lobby antiraciste. C’est comme ça.
Comme vous le mentionnez, un journaliste qui se hasarderait à « une lecture anti-conformiste du réel » pourrait être excommunié. Qu’est-ce que cela dit du fonctionnement de la presse en France ?
Cet aspect est très important. On peut parler de fonctionnement totalitaire. Les journalistes traquent les dérapages chez tout le monde, y compris et peut-être prioritairement chez leurs confrères. Il y a les cas lourdement médiatisés et il y a tous ces petits rappels à l’ordre entre collègues, dont on n’entend pas parler hors du microcosme journalistique. J’ai découvert cela après la publication de mon livre : j’ai eu droit à des confidences en off, comme on dit. Et cela commence dans les écoles de journalisme. Mais en réalité, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il règne une pratique généralisée de l’autocensure : on reprend les mots des autres parce que comme cela, au moins, on est certain de ne pas avoir de problème. D’un côté, c’est rassurant : il n’y a ni complot, ni grand gourou occulte. Tout cela est très humain. Mais c’est en même temps inquiétant car on constate que la pression de groupe est énorme. Quand Maïtena Biraben a été accusée de dérapage par toute la profession, elle a répondu, à l’antenne, en s’adressant ironiquement à ses collègues : « merci d’être si fidèles à cette émission ». C’est un métier où l’on se surveille en permanence. Cette vigilance est d’ailleurs matérialisée par un organisme : le CSA (conseil supérieur de l’audiovisuel). « Une aberration à la française », selon les termes d’un journaliste étranger qui préparait une émission au sujet de mon livre.
Lorsqu’on met cette question en perspective avec la crise des médias, est-ce l’une des causes du désintérêt grandissant des lecteurs pour la presse ?
Désintérêt, le mot est faible. Il y a une véritable méfiance envers les médias et l’on constate que, pour les hommes politiques, il devient extrêmement vendeur de se faire détester des journalistes, d’apparaître comme une cible de la presse. Trump s’est fait élire en grande partie sur cette stratégie. Cela signifie que les médias sont devenus des repoussoirs. Le mythe du contre-pouvoir libre et objectif a vécu. 
Les médias alternatifs ou anti-conformistes semblent profiter vigoureusement de la situation. Est-ce votre avis ? Cela représente-il à vos yeux un problème ?
Les médias de ce qu’on appelle la réinfosphère (on dit la fachosphère dès qu’on veut y amalgamer des sites conspirationnistes ou des blogs porteurs d’obsessions douteuses) tirent un énorme bénéfice de cette méfiance généralisée à l’égard des grands médias. Ils apparaissent, souvent à juste titre, comme ceux qui révèlent ce qu’on nous cache. Le problème ne réside pas dans ces médias en eux-mêmes. Il réside dans l’excès de confiance qu’on leur accorde. C’est pourquoi je dis toujours qu’il faut garder une saine méfiance envers toute source d’information, généraliser l’esprit critique au lieu de s’en départir dès qu’on se sent dans un environnement idéologique confortable.
Au delà de «  la destruction du langage et de la fabrication du consentement », on a l’impression en lisant votre ouvrage que le journaliste travaille selon une grille de lecture idéologique qui ne fabrique justement plus du consentement auprès de l’audience. Face à cette crise de la presse, quel est le but ultime du journaliste? Y-a-t-il une forme de crispation corporatiste face à des courants de pensée populaires que le journaliste semble ne pas comprendre ?
Pour les avoir un peu fréquentés depuis la parution de mon livre, je peux confirmer que certains d’entre eux nourrissent, en effet, un véritable mépris pour le peuple, pour nous. Ils abhorrent cette gueusaille qui leur paraît rétrograde et frileuse, rétive au progrès et minée par les mauvais penchants (racisme, etc.). Ils considèrent que leur devoir est de compenser notre vilaine nature, de nous rééduquer en somme. « Compenser », c’est un mot qu’on entend tout le temps dans la bouche des journalistes quand on leur demande des comptes sur leur manière de sélectionner les informations ou de les hiérarchiser. Là encore, il ne me semble pas que la tâche d’un journaliste soit de compenser.
N’y a t-il pas quelque part un mépris du journaliste pour le public qui ne jouirait pas de tout son libre-arbitre pour faire la part des choses et forger sa propre opinion sur les grands sujets de société ?
C’est un peu cela. Eux, ils savent. Nous pas. Quand Fanny Ardant, sur le plateau de « 28 minutes », concédant qu’elle ne maîtrise pas le sujet autant que les spécialistes, affirme qu’elle en a assez du discours anti-Poutine de la presse française et dénonce une pensée unique manichéenne, on lui répond avec dédain : « vous dites vous-mêmes que vous n’y connaissez rien. »
En effet, le journaliste se sent-il, selon vous, investi d’une mission de service public pour préserver la paix sociale ?
Il  ne se le formule pas ainsi. Mais son éthique de la responsabilité, c’est bien en cela qu’elle consiste. C’est ce que je disais tout à l’heure, à propos de l’analogie avec l’inquisition.
Pour finir, quel accueil a reçu votre livre auprès des médias que vous incriminez directement ?
J’ai reçu un accueil globalement positif, dans des médias de droite comme de gauche, dans des médias officiels mais aussi, évidemment, sur la réinfosphère. Certains journalistes de gauche ont d’ailleurs émis des réserves quant à l’orientation idéologique de mon livre, précisément en raison du bon accueil qu’il a reçu dans les médias alternatifs, mais je m’y attendais. Mes cibles principales sont les chaînes d’information continue. Nous avons vite fait de nous laisser bercer par ce flux permanent d’informations sans en questionner le choix ni la formulation, ce qui nous rend particulièrement vulnérables. Or, ces médias n’ont pas vocation à me répondre. Ce sont de grosses machines qui se moquent éperdument de ce que peut écrire une petite prof de lettres devant sa télé !

Ingrid Riocreux, La langue des médias, Destruction du langage et fabrication du consentement, Editions du Toucan, 336 pages, 20 euros
(Crédit photo : DR)

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